> Presse —> Fédéralisme : Angela Merkel mange le morceau |
Lundi 28 Novembre 2011:
Fédéralisme : Angela Merkel mange le morceau Par Francis Wurtz (1) Depuis quelque temps déjà, un certain nombre de voix s'élevaient pour préconiser, comme solution ultime à la crise de l'euro, un « saut fédéral ». Le problème, avec ce genre de concept, c'est qu'il se prête à des interprétations multiples, voire contradictoires. À chaque évocation d'une telle perspective, on ne pouvait donc faire l'économie d'une longue périphrase du type : « Si vous entendez par là une construction solidaire, ayant pour mission de contribuer au rattrapage des économies moins productives, dans une optique de codéveloppement, avec pour ambition commune la promotion d'un modèle social et environnemental avancé dans tous les pays membres, nous convergerons aisément ! » À ceci près qu'une telle conception est aux antipodes de l'« économie de marché ouverte où la concurrence est libre » dont se réclament les chantres les plus véhéments du fameux « saut ». Il faut donc clarifier ce qui est réellement en jeu. Désormais, foin de toutes ces circonlocutions : la chancelière allemande vient de dissiper toute ambiguïté sur la nature de l'« union politique » qu'elle entend voir mise sur les rails. Devant le congrès de son parti, la CDU, elle a précisé les objectifs assignés à la « nouvelle Europe » découlant de la réforme des traités qu'elle réclame avec force. Ils se nomment : discipline budgétaire plus stricte ; surveillance macroéconomique accrue ; moyens plus coercitifs pour faire respecter les règles ; sanctions automatiques pour qui s'écarterait des normes ; saisine de la Cour de justice contre les contrevenants... Précision de taille : c'est à la Commission européenne-érigée au rang de quasi-gouvernement européen, avec un président élu au suffrage universel (!) et un super-commissaire chargé des finances-qu'échoirait le rôle de contrôleur et de redresseur de torts des autorités nationales (comme c'est déjà le cas en matière de respect des règles de concurrence, avec les résultats que l'on sait). C'est ce qui s'appelle « manger le morceau »! Apparemment, l'idée d'un transfert de souveraineté aussi colossal n'a pas eu pour effet d'émouvoir les députés conservateurs du Bundestag – habituellement si sourcilleux quant aux prérogatives de leur Parlement – à la veille de chaque négociation européenne. Il est vrai que les règles appelées à devenir intangibles dans l'hypothèse où s'imposerait une telle « gouvernance économique intégrée » auraient beau être gérées par une Commission indépendante, elles obéiraient aux critères du capital allemand; comme celles mises en œuvre par la Banque centrale européenne, elle aussi « indépendante », sont, pour l'essentiel, celles de la Bundesbank. « Maintenant, l'Europe parle Allemand ! » a proclamé sous les vivats de ses collègues le président du groupe de la CDU. C'est dire combien est dérisoire la posture d'un Nicolas Sarkozy s'affichant en allié stratégique des dirigeants allemands, alors qu'il n'en est que le faire-valoir. En vérité, la droite outre-Rhin entend tirer profit du statut privilégié qu'accordent à son « modèle » les sacro-saints marchés financiers. Elle est décidée à faire le forcing pour mettre en chantier « sa » réforme des traités européens. Dès ce 24 novembre, le « couple » (élargi au nouveau chef du gouvernement « technique » italien) donnera une sorte de top départ de ces grandes manœuvres. La gauche européenne saura-t-elle donner aux citoyens les moyens de s'impliquer dans ce chantier majeur ? Député honoraire du Parlement européen. (L'Humanité Dimanche)
|