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Samedi 22 Octobre 2011:

 

Financer l'économie, c'est notre affaire !

Par Jean-Christophe Le Duigou

Le financement de l'économie est vraiment une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls acteurs financiers, aux dirigeants d'entreprise ou aux experts étatiques qui, trop souvent, font cause commune. Syndicats et acteurs sociaux doivent désormais monter en première ligne. Après la faillite de Dexia, les gouvernements européens s'apprêtent à mettre en oeuvre un plan de sauvetage du système bancaire et financier. Ce sera la deuxième fois en 3 ans. Cette nouvelle intervention devrait être l'occasion non seulement de faire le vrai diagnostic de la crise financière mais encore de mettre en oeuvre un changement des règles du financement.

Le débat sur la dette masque en fait le fond du problème.

Que s'est-il vraiment passé ces 25 dernières années au coeur des économies européennes et américaines ? Sous la pression de la « valeur actionnariale », véritable norme financière, les firmes ont ralenti leurs investissements ainsi que toutes leurs dépenses de long terme, au bénéfice d'une stratégie financière. À quoi bon développer la création de richesses quand il est possible de dégager des rendements considérables pour les actionnaires en achetant ou en vendant des entreprises, en les dépeçant, en réduisant l'emploi, en s'endettant ? Les banques qui ont préféré financer ce type d'opération plutôt que de soutenir l'activité, ont été des vecteurs de cette logique. Elles en sont aujourd'hui les victimes.

Corriger les excès de la dérive financière ne se fera pas par la simple régulation des activités bancaires. Comme le montre l'expérience, réguler la finance est difficile et recèle bien des contradictions. Au mieux la régulation permet de gommer les excès et empêche les comportements les plus prédateurs. Ce n'est bien sûr pas négligeable. Mais on est loin d'un changement nécessaire des règles.

Face à la valeur actionnariale il y a d'autres valeurs à faire émerger. Redonner une indépendance au système financier européen relativement à la domination anglo-saxonne, faire de la finance le véritable carburant de l'activité économique, tout cela implique de modifier en profondeur l'utilisation de l'épargne et l'usage du crédit bancaire. Le développement des capacités humaines, l'égalité d'accès aux biens et services fondamentaux, la régénération de l'environnement, composantes d'une croissance durable, doivent pouvoir se matérialiser en critères de financement et en objectifs concrets. Il s'agit en fait de ne plus faire du niveau des profits, qui mesure avant tout la valorisation du capital, le critère universel et global des choix financiers.

L'enjeu majeur est celui de la gestion des dépôts bancaires et de l'épargne des salariés, soit des centaines de milliards d'euros chaque année. Ces liquidités ne doivent plus être systématiquement drainées vers les marchés financiers mais servir au développement de l'emploi et des activités productives. En tant que garant de cette logique, des établissements publics comme la Caisse des dépôts et la Banque postale pourraient être les premières composantes d'un « pôle financier public » se déclinant au plan régional et proposant de nouveaux produits d'épargne et de crédit. Au lieu de courir après le modèle de « l'industrie financière », les institutions à caractère mutuel pourraient jouer un rôle spécifique, complémentaire. La puissance publique devrait enfin profiter des recapitalisations pour retrouver du pouvoir dans les grandes banques.

Trouver l'équilibre entre la sécurité de leur épargne pour les salariés, l'intérêt pour l'entreprise, et l'intérêt général est sans doute une gageure. Quitte a innover, c'est sur ce terrain qu'il faut être le plus audacieux. Bien sûr, la déconnexion des marchés financiers ne peut pas être totale, ne serait-ce que pour des raisons de liquidité. Mais l'on peut imaginer des livrets d'épargne prenant en compte des critères de gestion différents, des objectifs de création de richesse, de développement des compétences des salariés, d'investissements d'intérêt général pour tout ou partie des sommes collectées. Une garantie spécifique de rémunération pourrait y être attachée en fonction de ces engagements. Ces livrets deviendraient un outil d'épargne polyvalent pour le long terme et pourraient permettre la distribution efficace de crédit. Ce serait une nouvelle façon de préparer l'avenir individuel et collectif.

(1) Économiste et syndicaliste.

(source L'Humanité Dimanche)

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