> Presse —Un audit de la dette : oui, mais pour faire quoi ? |
Dimanche 16 Octobre 2011:
Un audit de la dette : oui, mais pour faire quoi ? Par Jean-Christophe Leduigou (1) Il n'est pas question de caricaturer le mot d'ordre « d'audit de la dette publique » qu'ont décidé de porter plusieurs organisations en réponse au discours culpabilisateur tenu par nos gouvernants sur la dette publique. Cette revendication ne se réduit pas à une procédure de vérification des comptes, comme la pratiquent les contrôleurs de gestion dans les entreprises. Les partisans de cet audit – et ils ont raison – s'appuient sur deux besoins fondamentaux de la société : l'exigence de transparence de l'action publique et la nécessité d'un contrôle démocratique des gouvernants par les citoyens. Il s'agit là de deux besoins qui réfèrent à des droits démocratiques tout à fait élémentaires : le droit de regard des citoyens sur les actes de ceux qui les gouvernent : le droit de s'informer de tout ce qui concerne leur gestion, leurs objectifs et leurs motivations. Ce besoin permanent de transparence dans les affaires publiques acquiert, à l'époque du néolibéralisme en crise, une importance politique supplémentaire. Il transforme un droit démocratique des citoyens, qui ne date pas d'hier, en un besoin social et politique tout à fait vital qui est vu par les gouvernants comme une mise en cause de leur système. Comme le disent les partisans de cet audit de la dette publique, ce mouvement peut acquérir « une dynamique socialement salutaire et politiquement subversive en pénétrant dans le saint des saints du système capitaliste, là où, par définition, n'est toléré aucun intrus ». La question est de savoir quelle est la finalité de cette campagne. Certains proposent en effet de fixer comme objectif politique « l'exigence du non-remboursement de la dette publique française ». Cela fait surgir une première série de questions : peut-on appliquer à la France une mesure parfaitement valable pour les pays en voie de développement sortant d'une dictature ? N'est-ce pas, d'une certaine manière, accepter de donner une importance démesurée à la question de la dette ? Poussons plus loin le questionnement. La dette française est-elle « illégitime » ? D'abord, elle a été contractée à des taux bas qu'envient nombre de pays qui doivent payer des primes de risque considérables. Il faudrait donc démontrer que la France a dû subir un surcoût, ce qui n'est pas le cas. Certes, pour une fraction, la dette a été engagée en compensation de cadeaux fiscaux accordés aux plus riches. Pour cette part, les créances publiques sont détenues par des ménages favorisés qui ont en même temps profité de l'emprunt et de la dépense fiscale qu'il couvrait. Cela ne justifie pas pour autant qu'on ne rembourse pas les dettes dues à des prêteurs étrangers ou à des épargnants français détenteurs notamment d'assurances vie ! Le moyen le plus simple pour récupérer les sommes en cause n'est pas de récuser la dette. Il est d'augmenter la taxation des revenus financiers, l'impôt sur les grandes fortunes et les droits de succession. Doit-on en second lieu renoncer à avoir une dette publique ? Ce serait pourtant la contrepartie de la décision de la France de ne pas rembourser ses emprunts. Aucun épargnant n'accepterait plus de prêter au pays. Il faut alors dire comment seraient financés les investissements indispensables. Sans nouvel endettement public, ce serait la dette privée qui prendrait la place. Ce choix conduit tout droit, pour les nouveaux investissements publics, à la multiplication des montages de type partenariat public-privé (PPP) et à des privatisations massives. Enfin, où trouver les 90 milliards d'euros nécessaires pour couvrir le déficit actuel ? On doit en conclure que le problème central n'est pas la gestion de la dette publique mais l'existence d'une stratégie de développement social et économique. S'il y a dette, c'est avant tout parce que le chômage s'est installé, parce que la croissance s'est d'abord ralentie puis effondrée. Le recul du PIB a coûté, en année pleine, 70 milliards d'euros de recettes fiscales et sociales soit la majeure partie du déficit actuel. L'axe d'une campagne de grande envergure s'en déduit immédiatement. Il doit être l'exigence d'une rupture dans les politiques économiques menées. La réorientation de l'activité des banques vers le financement de l'emploi, de la formation et de la production est alors essentielle. (1) Économiste et syndicaliste. (source L'Humanité Dimanche)
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