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Dimanche 9 Octobre 2011:
Réinventer tous les impôts Par Jean-Christophe Le Duigou (1) La discussion du budget 2012 débute la semaine prochaine à l'Assemblée nationale. Ce projet de loi de finances prévoit une réduction inédite des dépenses publiques. Le gouvernement tente de donner le change en annonçant une « taxation exceptionnelle des plus hauts revenus ». La part de communication dans cet affichage est évidente puisque la taxe, même majorée, ne rapportera que quelques centaines de millions d'euros. Une misère eu égard à l'ensemble des cadeaux octroyés aux plus riches ces dernières années, le fameux « paquet fiscal » de 2007 et plus particulièrement le « boucliers fiscal ». Ces cadeaux ne sont que la partie émergée d'un système dérogatoire qui ampute les recettes de 73 milliards d'euros par an selon la Cour des comptes. La mesure exceptionnelle de taxation pour 2012 ne fait que souligner le besoin de redonner toute sa place à l'impôt sur le revenu. Mais faut-il seulement augmenter les impôts ou bien les réformer ? La réforme fiscale doit avoir pour objectif de contribuer à une nouvelle répartition des revenus. Il faut redonner sa place au prélèvement progressif, le seul qui tienne compte des facultés contributives de chacun. Mais l'impôt juste est fondamentalement celui qui favorise le travail, le développement social et économique et celui qui pénalise la croissance financière. C'est à une véritable « réinvention » de l'impôt qu'il faut s'atteler. L'allégement des prélèvements sur les revenus financiers s'est accompagné ces trois dernières décennies d'une explosion des revenus du patrimoine. Le partage de la valeur ajoutée des entreprises privées a évolué en défaveur des salaires et en faveur des profits. S'agissant des seuls dividendes, dont on aura du mal à justifier l'énormité au nom de la santé économique, leur montant est passé de 3,2 % du PIB en 1982, à 8,5 % en 2007, dernière année avant la crise, ce qui représente un transfert de 80 à 100 milliards d'euros. Il est réaliste de viser le rattrapage en faveur des salaires et de la protection sociale, d'environ 5 points de PIB pour peu qu'on mette en oeuvre une politique cohérente d'intégration dans l'emploi, de qualification et d'amélioration des salaires. Une réflexion plus large devient indispensable, en se rappelant que le système fiscal a trois fonctions : financer les biens publics, corriger les inégalités, favoriser le développement économique. Pour combler les déficits publics et rendre du pouvoir d'achat aux salariés, il est impossible de biaiser avec la question d'un partage de la richesse plus favorable aux salariés. Loin d'être neutre économiquement, l'impôt peut influer sur ce que l'on produit, la manière de produire, l'accès des personnes à un vrai travail. Son rôle incitatif ou dissuasif est admis en matière environnementale. Pourquoi se refuserait-on à en faire de même en matière économique et sociale ? Parmi les principales propositions qui doivent être discutées, retenons le principe d'un prélèvement social sur les revenus du patrimoine et des capitaux mobiliers pour contribuer au financement de la dépendance, la modulation de l'impôt sur les sociétés en fonction de l'affectation des bénéfices, une réforme de la cotisation chômage pénalisant les entreprises qui usent et abusent de la précarité, une contribution sociale des entreprises assise sur leurs actifs financiers... Dissuader la croissance financière, inciter les banques à financer l'activité économique, sanctionner l'usage des paradis fiscaux, imposer les plus-values, favoriser l'entreprise qui développe l'emploi et les salaires... autant de pistes pour la réforme fiscale dont certaines doivent être explorées au plan européen. Elles permettraient de retrouver la cohérence entre les logiques de redistribution et l'incitation à mieux utiliser toutes les richesses disponibles. Voilà pourquoi il faudrait, en même temps que de l'impôt sur le revenu, se préoccuper de la réforme de l'impôt sur les sociétés (IS) et, plus globalement, de l'évolution indispensable des prélèvements sociaux dans l'entreprise et des prélèvements fiscaux sur le capital. Le sentiment que la contribution fiscale est justement partagée et que personne n'y échappe est la condition pour que l'impôt soit accepté. La légitimité de la fiscalité sera encore plus forte si le système de prélèvement fait la démonstration qu'il sert le développement social. (1) Économiste et syndicaliste. (source L'Humanité Dimanche)
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