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Samedi 1er Octobre 2011:
Pour une convergence revendicative franco-allemand ! Par Jean-Christophe Le Duigou (1) Le modèle allemand est-il devenu l'horizon de nos responsables politiques ? Évidemment non. C'est tout ce qui a contribué à le fragiliser qui les intéresse. À écouter François Fillon s'exprimant la semaine dernière, devant un parterre de dirigeants d'entreprise, il n'y avait aucun doute : « Il faudra aller vers une convergence progressive de l'organisation économique et sociale de nos deux pays. » Il annonce, au nom de ce principe, pour la France, le recul de l'âge de la retraite et l'allongement de la durée du travail. Les « experts » ne sont pas en reste. Michel Godet, enseignant au Conservatoire des arts et métiers et abonné des plateaux de télévision, n'hésitait pas à titrer sa tribune publiée le même jour dans « le Monde », « Vive le modèle allemand ! » pour en fait mettre en valeur les reculs sociaux qui doivent à ses yeux être imposés aux salariés. Ce n'est évidemment pas le système de droits sociaux solidement établis outre-Rhin qui les intéresse. Mais bien le processus qui, depuis 10 ans, malgré la bataille des organisations syndicales allemandes, l'a amputé. Le fameux modèle rhénan tant vanté n'a pas disparu. Mais il est devenu instable. Les gains de productivité se sont réduits, les inégalités se sont creusées, la population du pays s'est mise à décroître. La stratégie de croissance allemande, tirée par la demande extérieure, se révèle d'une grande fragilité. Elle n'est soutenable à long terme ni pour l'Allemagne ni pour l'Europe. À la différence du demi-siècle passé, la compétitivité allemande repose désormais sur une pression sans précédent sur les rémunérations salariales et non plus sur des gains d'efficacité. Les excédents extérieurs se sont gonflés sur le dos de ses voisins européens dont les déficits, eux, se creusent. Ces excédents ne peuvent pas indéfiniment s'accroître. Pour ses partenaires la tentation est dès lors d'imiter l'Allemagne en réduisant chez eux les salaires et les droits sociaux. C'est la catastrophe annoncée. La croissance allemande pâtira immédiatement de ce recul des débouchés européens et ce choix conduira l'Europe sur la voie d'une sévère dépression. Côté social, comme en France, la pauvreté redevient une réalité dans la société allemande. Diverses études publiées ces derniers mois mettent en valeur l'effet ciseau qui élargit, en Allemagne, le fossé entre les plus modestes et les plus riches. Un enfant sur six vit ainsi sous le seuil de pauvreté. Des centaines de milliers de retraités doivent encore travailler à 70 ans passés. Les emplois dans les services sont marqués par la précarité et les faibles rémunérations. À l'opposé, l'Allemagne dénombre deux fois plus de riches que la Grande-Bretagne ou la France, soit 924 000 privilégiés. Seuls le Japon et les États-Unis comptent davantage de ces millionnaires. Plus éclairante encore, la comparaison des patrimoines révèle que les 10 % les plus favorisés possèdent plus de la moitié des richesses (56 %) et les 10 % les plus pauvres seulement 2 %. « L'accroissement régulier de ces inégalités place l'Allemagne, premier produit intérieur brut du continent, dans le ventre mou du classement des pays développés pour la justice », constate l'Organisation pour la coopération et le développement en Europe (OCDE). L'Allemagne a de plus en plus de mal à masquer la régression qui affecte son modèle de société. À tel point que l'éditorialiste de la « Frankfurter Allgemeine Zeitung », grand journal conservateur, s'est interrogé : « Et si le capitalisme ne servait que les intérêts des plus riches ? » L'interrogation vaut tout autant pour la France. Il ne s'agit donc pas de refuser l'examen de ce qui se fait chez nos voisins européens, tout particulièrement chez notre principal partenaire économique et politique. La France ne sortira pas toute seule de la crise, a fortiori en se repliant sur elle-même. Mais tout justifie que travailleurs français et allemands se retrouvent ensemble pour combattre les reculs sociaux et promouvoir un projet renouvelé. Au raisonnement de François Fillon, il est indispensable d'opposer la convergence revendicative des salariés. Un axe franco-allemand pour le développement de l'emploi et la construction de nouvelles garanties sociales est urgent. Sinon l'Europe va dans le mur. (1) Économiste et syndicaliste (source L'Humanité Dimanche)
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