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Dimanche 24 Septembre 2011:

 

La crise de la dette est-elle une invention ?

Par Jean-Christophe Leduigou (1)

Comme à la fin du XIXe siècle et dans les années 1930, il y a bien une « crise de la dette ». Il ne servirait à rien de le nier. Car même si l'on doit considérer l'immense accumulation financière de ces 25 dernières années, comme celle d'un capital largement « fictif », au sens que Marx donnait à cette notion, la contrainte que fait peser cette pyramide de créances sur les pays et les travailleurs, depuis les États-Unis jusqu'à l'Europe, est quant à elle bien réelle. Mais attention, ce n'est pas la dette qui explique la crise ! Ce n'est donc pas l'austérité qui peut nous en faire sortir.

La crise n'est pas que financière. Elle résulte d'années de déflation salariale, de récession sociale et de pression sans précédent sur les activités de production. Depuis les années 1980, pour augmenter la rentabilité d'un capital sur accumulé, les actionnaires ont mis une pression sans précédent sur le travail et les travailleurs. Les entreprises ont massivement supprimé des emplois, elles ont limité les efforts de recherche et de formation, elles ont refusé de reconnaître les qualifications, développé la précarité, privilégié les investissements spéculatifs. L'industrie a été sacrifiée. La notation même de « création de valeur » a glissé du réel vers le financier. Cette inversion spectaculaire entre moyens et fins a frappé de plein fouet toutes les compartiments de la vie humaine, au travail et hors travail.

Il y a donc bien une diminution anthropologique dans cette crise. Le travail humain, qui devrait être au centre du développement social, est devenu la variable d'ajustement. Les marchés financiers ont accentué les pressions sur les rémunérations, sur les normes de travail et d'emploi, les systèmes de production sociale et maintenant sur les États.

C'est dans ce processus que l'endettement facile et peu coûteux a joué comme une drogue. Les États se sont tournés vers les marchés financiers pour obtenir des financements dans un premier temps peu onéreux. Puis les banques, au lieu de financer l'activité économique, se sont mises massivement à prêter aux États. Rien de plus facile d'ailleurs puisqu'elles mobilisaient des liquidités à bas coût qu'elles prêtaient plus cher à ces derniers. Mais le mal était profond. Le noeud coulant de la finance pouvait se resserrer progressivement. Nous n'avons pas vécu au-dessus de nos moyens. Ce sont nos moyens de développement qui ont été largement gâchés.

Face à cela, poser de nouvelles règles financières, « réguler », est indispensable mais insuffisant si l'on ne donne pas la priorité au développement des hommes, si l'on ne favorise pas une transformation du travail et de la croissance.

L'articulation entre travail, salaire, emploi et sécurité sociale, au coeur du dispositif socio-économique qui s'était mis en place après la Seconde Guerre mondiale, a été cassée. Pour être pertinente, une réponse offensive a besoin de relier de manière nouvelle ces quatre dimensions. L'évolution du salaire est désormais structurellement déconnectée de celle de la productivité du travail et les ajustements se font au gré des rapports de force dans les entreprises. À l'opposé, il s'agit de créer un nouveau dynamisme économique en rétablissant le lien entre le revenu et la croissance à travers l'emploi stable, qualifié et bien rémunéré pour toute la population active, donc pour tous ceux qui aujourd'hui sont privés d'un emploi ou qui exercent des activités précaires malgré eux.

La croissance économique, avec un autre contenu, a besoin d'être confortée. Elle doit s'intégrer dans une politique de développement, ce qui invalide les choix de gestion actuels des entreprises : la recherche effrénée d'une intensification du travail, le rejet de salariés vers le chômage, l'abandon d'activités, le recours à des modes de production prédateurs de l'environnement... À l'opposé, productions nouvelles dans l'industrie, développement de services nouveaux, efforts de qualification et de formation, mobilisation de la recherche et de l'innovation peuvent être la source de centaines de milliers d'emplois nouveaux. À condition de s'appuyer résolument sur les ressorts humains et la dynamique du travail !

(1) Économiste et syndicaliste.

(source L'Humanité Dimanche)

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