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Jeudi 22 Septembre 2011:
Éditorial Les affameurs Par Jean-Paul Piérot Ce n'est pas une blague de mauvais goût. Les dirigeants de l'Union européenne, ceux-là mêmes qui ont renfloué les caisses des banques au prix de milliards d'euros, se préparent à réduire de 75 % le programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD) ! En d'autres termes, le budget des aides alimentaires qui contribuait à soutenir les associations de solidarité dans leur mission auprès des populations plongées dans la plus grande pauvreté serait quasiment anéanti en 2012. La réunion des ministres de l'Agriculture des vingt-sept États membres, réunie hier à Bruxelles, a abouti, faute d'accord, à cette incroyable et révoltante menace. Six États, emmenés par l'Allemagne d'Angela Merkel, ont refusé que soient poursuivis les achats alimentaires dans le cadre de la politique agricole commune pour constituer les stocks de nourriture. Dans un même mouvement, on sanctionne les agriculteurs et on prive de nourriture des millions d'êtres humains... Ainsi se déroule la chronique d'une Europe étouffée par le libéralisme, et qui renonce ouvertement aux principes qu'elle proclame. Les pauvres sont décidément trop nombreux, pense-t-on sans doute dans les services de M. Burroso, dans les bureaux de la Cour européenne de justice, qui avait rendu un avis en ce sens, ainsi que dans les chancelleries à Berlin, Copenhague, La Haye, Stockholm et Prague, pour que l'Union continue à les aider à survivre en fréquentant les Restos du coeur. Et qu'importe que le traité de Lisbonne affirme dès son article 3 que « l'Union européenne combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales », le caractère de classe de l'orientation de la politique européenne apparaît ici dans toute sa cruauté. « Indignez-vous ! » L'appel de Stéphane Hessel trouve chaque jour ou presque de nouvelles raisons de se révolter. L'Europe compte quelque 80 millions d'hommes et de femmes contraints de vivre en dessous du seuil de pauvreté. Tous sont victimes de la loi de la concurrence libre et non faussée, de l'économie dominée par les marchés financiers, du recul dans tous les États membres de l'UE de l'État social. La France dans ces domaines ne fait pas exception, bien au contraire avec ses quelque 8 millions de personnes aux revenus inférieurs à 880 euros mensuels. Mais la solidarité est une valeur européenne qui ne s'applique pas aux 18 millions de pauvres aidés par le PEAD dans 19 pays de l'Union. Sans rire, la Cour et la Commission renvoient la balle aux budgets nationaux des États membres concernés... Mais de quel pays parle-t-on ? De la Grèce, que les dirigeants européens et le FMI saignent à blanc, du Portugal, de l'Italie ? Si le blocage n'a pas été surmonté hier, un autre Conseil des ministres européens tentera de trouver un compromis le mois prochain. C'est un encouragement à poursuivre la pression sur le gouvernement. Les associations qui ont sonné le tocsin au cours d'une conférence de presse lundi ne sont pas pour rien dans l'expression du désaccord de la France avec un coup d'arrêt de l'aide alimentaire aux plus démunis. Mais face aux affameurs, seule une large mobilisation dans notre pays et dans toute l'Europe pourra faire prévaloir la solidarité européenne, si éloignée des calculs égoïstes de Bruxelles. (source l'Humanité)
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