> Presse —Changer de base |
Jeudi 15 Septembre 2011:
Éditorial Changer de base Par Jean-Paul Piérot Les dirigeants européens ne pouvaient pas avouer plus clairement leur échec : trois ans après son adoption arrachée dans des conditions des plus antidémocratiques, le traité de Lisbonne est désormais remis en cause par ceux-là mêmes qui l'ont imposé à leurs peuples comme étant une condition sine qua non d'échapper à la crise institutionnelle. On est servi ! La belle solidarité entre des nations liées par un destin commun, refrain chanté par tous les bardes de l'eurolibéralisme, explose. La zone euro, loin de se préparer à intégrer d'autres États membres de l'UE, est menacée de rabougrissement en cas d'exclusion de la Grèce, qu'envisagent certains responsables politiques et autres faiseurs d'opinion notamment en Allemagne. Le traité de Lisbonne était réputé intouchable pour les peuples, mais visiblement pas pour les gouvernements qui aujourd'hui découvrent les vertus d'un nouveau traité. Wolfgang Schäuble, ministre allemand de l'Économie, y est favorable. Le prochain président de la BCE, Mario Draghi, plaide pour « une large révision ». Chacun y va de sa partition dans un orchestre qui ne nous interprète plus l'Hymne à la joie, de Beethoven... Le ministre polonais des Finances, Jean Vincent-Rostowski, allant jusqu'à évoquer le risque d'une guerre au cours des années qui suivraient une disparition de la zone euro. Le climat de sauve-qui-peut, ces déclarations des plus alarmistes, l'affolement qui s'empare des places financières, l'abaissement de la note de trois banques françaises... traduisent la gravité de la crise européenne, qui participe de la crise systémique du capitalisme financier et mondialisé. En ce troisième anniversaire de la faillite de la banque Lehman Brothers, c'est cette même crise qui se développe et s'approfondit, en dépit des gesticulations et des promesses de Nicolas Sarkozy sur la moralisation du capitalisme. Qu'il faille un nouveau traité pour l'Europe, c'est là une revendication de tous ceux qui veulent bâtir l'Europe sur une autre logique que celle de la soumission aux marchés financiers. Il faut changer de base, choisir l'Europe sociale, clameront samedi les manifestants, à l'appel de la Confédération européenne des syndicats, à Wroclaw, en Pologne. Mais c'est tout à fait un autre avenir que veulent imposer les dirigeants européens, qui veulent modifier le texte de Lisbonne. Ils cherchent une issue à la crise dans un renforcement d'un centralisme antidémocratique qui mette la souveraineté populaire sous l'étouffoir. Ils appellent cela fédéralisme ou gouvernance économique, quand il s'agit plus prosaïquement de mettre en place un système garantissant aux marchés financiers qu'aucun pouvoir politique ne pourra les juguler, d'ancrer dans le marbre un durcissement des politiques d'austérité. La tragédie grecque qui se prolonge est aussi une sorte de banc d'essai de la capacité de l'UE actuelle à imposer des reculs sociaux aux peuples d'Europe. Le monde du travail résiste à l'évidence avec plus de détermination que le premier ministre Papandréou qui s'est fait sermonner, hier, lors d'une téléconférence avec Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Mais si les salariés d'Europe conjuguent leurs combats contre les plans d'austérité, si les forces de gauche mettent en avant quelques principes fondamentaux pour un nouveau traité en rupture avec le modèle libéral, l'Europe pourra s'extraire de la spirale mortifère où les fauteurs de crise l'entraînent aujourd'hui. (source l'Humanité)
|