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Mardi 13 Septembre 2011:
Éditorial Un choix politique Par Maurice Ulrich Faut-il jeter les Grecs par-dessus bord comment on le ferait de passagers n'ayant plus les moyens de payer la poursuite du voyage ? Lequel leur est facturé toujours plus cher, la mécanique financière étant telle que plus les peuples sont pauvres et plus on les étrangle. Les partisans d'une telle solution élèvent la voix, particulièrement en Allemagne où l'on a vite fait d'oublier, soit dit en passant, quelques dettes morales, financières et historiques envers la Grèce précisément, liées à la Seconde Guerre mondiale. Passons, ce n'est peut-être pas l'essentiel, car si la crise grecque entre cette semaine dans une phrase absolument critique, avec ses possibles retombées sur les banques françaises plus engagées qu'on ne l'a dit, ce n'est pas d'abord d'une crise de la Grèce qu'il s'agit, mais d'une crise de l'Europe et d'une crise du système. L'Europe, nous dit-on, n'aurait plus le choix qu'entre deux solutions, telles que les décrivait hier l'éditorialiste des Écho : une sortie par le haut qui passe par la création d'un État fédéral européen, une autre par le bas qui aboutirait à un éclatement de la zone euro. Un éclatement de la zone, contrairement à ce que claironnent les extrêmes droites et, en France, le Front national, ne serait en rien la chance d'un repli à l'abri des frontières nationales, mais un appauvrissement massif des exclus, dominés par une zone d'euro fort, voire d'un nouveau mark, et contraints de payer leurs dettes et leurs importations avec une monnaie locale totalement dévaluée. Mais le mythe, ou la perspective d'un État fédéral fort, n'est pas davantage une promesse pour les peuples. Quel serait en effet son rôle si rien ne change des règles du jeu, lesquelles sont de répondre, selon la formule que l'on entend désormais chaque jour, « aux inquiétudes des marchés ». Il faut à ce point souligner l'extraordinaire mutation du langage intervenue en quelques mois. La préoccupation, la responsabilité, le devoir même des États et des politiques ne sont plus de répondre aux besoins des peuples, mais aux « attentes des marchés », c'est-à-dire, au bout du compte, des actionnaires et même des spéculateurs. De ce point de vue, la création d'un État fédéral fort ne serait qu'une manipulation et un déni de démocratie, destiné à imposer aux peuples des politiques de fer attendues par le monde capitaliste. Ce ne serait pas autre chose que l'institutionnalisation et l'extension du pacte euro plus de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. La règle d'or dont on veut nous faire les otages en serait tout à la fois l'instrument de mesure et celui pour nous taper sur les doigts. Il faut aider la Grèce et cesser de penser que les Grecs sont responsables de la crise. Ne pas le faire ce serait prendre le risque redoutable d'un effet domino dévastateur pour les peuples. Mais en même temps, il est urgent, nécessaire de changer les règles. Et d'abord il faut découpler les finances publiques des marchés financiers. C'est possible, si la BCE elle-même, ou, comme le proposent des syndicalistes allemands, une banque européenne pour les emprunts publics, se donne les moyens de prêter aux États au niveau de son taux directeur de 1,5 %. C'est possible si cet argent va à la création d'emplois et d'infrastructures, aux services publics. En d'autres termes, à une croissance réelle et durable. Mais il faut pour cela, c'est vrai, décevoir les marchés. Et alors ? C'est un choix politique. (source l'Humanité)
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