> Presse —Enfant de chômeur, la cantine n'est pas pour toi |
Vendredi 2 Septembre 2011:
Enfant de chômeur, la cantine n'est pas pour toi À la veille de la rentrée, le maire de Thonon-les-Bains entend toujours interdire l'accès à la restauration scolaire aux enfants de chômeurs. Une discrimination déjà en vigueur à Bordeaux, Nice ou Meaux, des villes gérées par les ténors de l'UMP... « On a pris cette décision parce qu'on manquait de place », tente de se justifier Jean Denais, maire UMP de Thonon-les-Bains. « Poussée démographique, ouverture de classes, hausse de fréquentation... » À grand renfort de chiffres, l'édile ne recule devant rien pour défendre son nouveau règlement de la restauration scolaire, voté en avril dernier dans le silence gêné de l'opposition. Dès lundi, celui-ci entrera donc en vigueur, et seuls les enfants dont au moins l'un des parents travaille pourront déjeuner à la cantine tous les jours. Les chômeurs, eux, n'auront qu'à se débrouiller pour assurer pitance à leur marmaille. Après tout, ce n'est pas comme s'ils étaient débordés... Le caractère discriminant du procédé, pointé par le site Actu chômage, en juillet dernier, n'a pas ému Jean Denais, qui persiste et s'enlise malgré le retentissement national de l'affaire. Selon lui, « l'idée n'est pas d'exclure mais d'accompagner ». Pour la conseillère municipale PCF Brigitte Bapt, la question relève plutôt de partis pris budgétaires. « Le maire met un point d'honneur à ne pas emprunter pour éviter d'augmenter les dettes, mais cela ne l'empêche pas de faire des choix, comme financer le nouveau stade ou renforcer le tourisme... » Le bien-être des habitants et de leurs enfants, lui, attendra. « Le bâtiment de l'école des Arts à Thonon est le même que celui où je mangeais, il y a quarante ans », renchérit Laurent Fontannaz, responsable FCPE de Haute-Savoie. Après avoir été convoqué une heure et demie à la DCRI (direction centrale du renseignement intérieur) -« ils voulaient prendre la température avant la rentrée »-, Laurent Fontannaz refuse de se laisser intimider. Il reste « dans les starting-blocks » pour soutenir les recours de parents discriminés devant le tribunal administratif, s'il y en a : « Le maire tente de dissuader les parents en menaçant d'instaurer à la place un système de "premier arrivé, premier servi", s'ils portent plainte, explique-t-il, inquiet. En tout cas, ce n'est pas aux enfants de faire les frais d'infrastructures obsolètes. » « On a accompagné la demande en mettant des bâtiments à disposition, en faisant des doubles services, mais c'est plus compliqué d'agrandir », oppose Jean Denais, croyant utile de préciser qu'il est déjà bien gentil d'appliquer les tarifs sociaux, la cantine étant « un service et non une obligation pour les communes ». C'est bien là que le bât blesse : car, dès lors que le service existe, la jurisprudence exige qu'il soit accessible à tous, et interdit de « subordonner l'attribution des places à des certificats patronaux ou autres justificatifs ». Le cas de Thonon ni tout neuf ni marginal Malheureusement, l'existence même de cette jurisprudence prouve que le cas de Thonon n'est donc ni tout neuf ni franchement marginal. Des décisions de justice ont déjà été prises en 1993 par le tribunal de Versailles, en 2010 par le Conseil d'État et le tribunal de Lyon, et pas plus tard que cet été par le tribunal d'Orléans. Inutile de creuser beaucoup pour s'apercevoir que la sélection à l'entrée des cantines est monnaie courante, notamment dans les villes dirigées par les ténors de l'UMP : Bordeaux (Alain Juppé), Meaux (Jean-François Copé), Nice (Christian Estrosi), Troyes (François Baroin) ou encore Toulon (Hubert Falco), pour n'en citer que quelques-unes. Dans les 70 communes répertoriées par l'Humanité – liste loin d'être exhaustive -, les critères varient. Ils peuvent viser les chômeurs, mais aussi les bénévoles, les travailleurs indépendants, les « cas sociaux » cités explicitement et même les mères au foyer ou en congé maternité. Parfois, l'accès se borne à un repas par semaine, ailleurs il faut présenter un justificatif les jours fastes d'entretien d'embauche. Bref, la galère. Et lorsque les deux parents sont demandeurs d'emploi, n'en parlons pas... Malgré la jurisprudence, certains maires préfèrent parfois l'illégalité afin d'économiser sur le dos des familles, en attendant d'être poursuivis pour se rétracter. Ils font ainsi d'une pierre deux coups, limitant la part des tarifs sociaux accordés aux parents. En cas de pépin, il sera toujours temps de payer l'amende ou de plaider le « je ne le savais pas ». À Bordeaux, où les restrictions sont en vigueur depuis 1998, la mauvaise fois a fini par devenir superflue. Le choix est parfaitement assumé : « Nous nous organisons en fonction des places disponibles, explique une attachée de presse de la ville, l'air dégagé. Certains déjeunent à la cantine un, deux ou trois jours par semaine. Après, c'est du cas par cas. » En clair : un système à la carte, où certains jouent du piston quand d'autres restent dans la mouise, et qui continue de gagner du terrain aux dépens du service public. Flora Beillouin et Christelle Pire (source l'Humanité)
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