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Dimanche 28 Août 2011:

 

L'Europe prise dans l'engrenage du Fonds

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

De nouvelles amputations dans les budgets publics, des sacrifices pour la majorité de la population et un « effort » symbolique pour les plus riches, tel est le cocktail que nous annonce, sans surprise, le gouvernement pour le budget 2012. Les logiques financières qui, depuis 25 ans, tiennent le haut du pavé, ont beau se fracasser sur les réalités de la crise, les choix demeurent les mêmes. Les réunions d'urgence des responsables politiques européens répondant aux tumultes récurrents des marchés, les plans d'austérité, qui se cumulent, masquent cependant de plus en plus mal le fait que les gouvernements veulent surtout rassurer les marchés financiers.

Aujourd'hui la situation est d'une gravité exceptionnelle, mais il faut bien admettre que cela fait 25 ans que les gouvernements, de droite comme de gauche, n'ont pas dévié d'une trajectoire qui resserre, étape après étape, le nœud coulant de la finance sur nos sociétés.

Le point de départ réside dans la réforme financière menée tambour battant de 1984 à 1986. Certes, une réforme des banques qui aurait dû s'appuyer sur la nationalisation opérée en 1982 était indispensable. Au lieu de cela, le gouvernement socialiste a entamé, à marche forcée, une réforme qui allait ouvrir tout le secteur aux marchés financiers. Le contrôle du Trésor sur le crédit est supprimé. Les institutions financières publiques qui favorisaient le financement des PME, du logement, de l'industrie sont « banalisées », ce qui les a conduites à une disparition rapide. Les banques ont été invitées à s'internationaliser. La fiscalité a été adaptée pour tenter d'attirer les capitaux étrangers. Quelques années plus tard, Pierre Bérégovoy franchit le pas et décide de rompre avec un principe historique. Il organise le placement des titres de la dette publique française auprès des investisseurs étrangers. L'objectif était d'emprunter à meilleur marché, les liquidités mondiales étant à l'époque abondantes, le résultat a été de nous enchaîner aux marchés financiers. Ainsi la France, avec un taux d'épargne élevé, se trouve désormais dépendante des financements extérieurs. Dix ans de « désinflation compétitive » avant d'entrer dans l'euro n'ont pas arrangé la situation.

Ces derniers mois, on a le sentiment que les gouvernements européens n'ont tiré aucune leçon de ces deux décennies et tombent de Charybde en Sylla.

La création du Fonds européen de stabilisation financière est un piège diabolique. Non seulement ce fonds paraît dérisoire, mais de plus, ils alimentent la spéculation. Dimensionné pour faire face à un risque de défaut de la Grèce, il a été renforcé face aux attaques des marchés contre l'Espagne. Mais c'est une course sans fin dans laquelle s'engagent les pays européens. Chaque extension du fonds accroît indirectement la dette des autres pays européens, qui se portent garants, et relance la spéculation. Une offensive contre l'Espagne atteindrait ainsi l'Italie, un sinistre italien mettrait en cause la France, une attaque contre cette dernière laisserait l'Allemagne garante d'une dette européenne qu'elle ne pourrait pas porter.

L'hypothèse de l'émission des euro-obligations, que refuse pour le moment l'Allemagne, n'est pas la solution miracle. Certes, cette émission manifesterait la solidarité entre pays de la zone euro et permettrait aux pays endettés d'emprunter à des taux d'intérêt moindres. C'est ce que mettent en avant les partisans de cette mesure. Chaque pays bénéficierait de la garantie des autres. Mais il faut mesurer la contrepartie de ce dispositif : un tel mécanisme signifierait que les contribuables de chaque pays pourraient être appelés à combler les défaillances du système bancaire et financier de tel ou tel autre pays. En fait, c'est accorder aux marchés financiers un droit de préemption sur les impôts des Européens. Loin de desserrer l'étau, ce dernier se ferait encore plus pesant. La fièvre spéculative continuerait à se nourrir de l'absence de croissance, de l'atonie de l'investissement productif, d'un sous-emploi structurel et du détournement des richesses vers la spéculation plutôt que vers le développement social et économique.

Une fois de plus, la question du rôle des banques et de leur contrôle devrait être au premier plan des réflexions politiques. Force est de constater que le débat continue à être refoulé. Après avoir raté l'occasion de réformer le système bancaire en 2008, les gouvernements sont en train de recommencer l'erreur.

(1) Économiste et syndicaliste.

(source L'Humanité Dimanche)

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