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Mardi 23 Août 2011:
Éditorial Manœuvres et victoire Par Maurice Ulrich Quarante-deux ans ! Quarante-deux ans d'un pouvoir qui fut toujours sans partage quand bien même le programme du jeune capitaine qui s'emparait du pouvoir en 1969, pour s'autoproclamer aussitôt colonel, faisait grand cas de la démocratie directe et du pouvoir du peuple... sous la conduite de son guide. Au fil des années, c'est le guide qui fut le peuple : « La démocratie c'est moi », aurait-il pu dire en paraphant une formule célèbre. Le socialisme panarabe dont il se réclamait dans son livre vert avait vécu depuis longtemps. Muammar Kadhafi, au bout du compte, aura fini par faire tirer à l'arme lourde sur ce peuple qu'il était censé incarner, y compris en faisant appel à des mercenaires étrangers, en appelant à combattre des « pourris », des « voyous », des « terroristes ». Sa chute, qui semble imminente, est bel et bien la chute d'un dictateur. Singulièrement pourtant, celui que l'Occident désignait, non sans raison, comme un des soutiens dans le monde des mouvements terroristes, auteur lui-même d'attentats meurtriers comme celui de Lockerbie, était devenu fréquentable au cours des dernières années jusqu'à ce qu'on lui déroule un tapis rouge aux marches de l'Élysée. C'est sans doute que lui-même avait cessé de vouer aux gémonies l'Occident, de moins en moins jaloux de son indépendance, en dépit des proclamations enflammées reléguées dans les archives, en même temps que la propriété nationale du pétrole et des grandes industries s'accommodait de plus en plus d'arrangements avec les compagnies étrangères dans les domaines du bâtiment, du gaz, du pétrole... Il s'en est fallu de peu pour que Kadhafi devienne un ami de Washington, de Londres et plus encore de Paris, comme l'étaient Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte, et comme continuent à l'être nombre de dirigeants du monde arabe dont la démocratie n'est pourtant pas la tasse de thé, de l'Arabie Saoudite au Yémen. Le printemps arabe, c'est-à-dire les révolutions en Égypte et en Tunisie, est venu changer la donne. Il a fallu que les peuples se soulèvent pour que les amis d'hier deviennent les tyrans que l'on ne fréquente plus, même pendant les vacances, sous peine de sortie de piste impromptue, façon MAM. En Libye, le début d'un soulèvement populaire, violemment réprimé, pouvait peut-être justifier une résolution de l'ONU pour ceux qui redoutaient des massacres de civils. C'est devenu une guerre conduite par l'OTAN sans véritable recherche d'une solution politique, essentiellement par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, en appui à une coalition aux contours complexes, dirigée par d'anciens proches du dictateur libyen et où se jouent déjà des luttes de pouvoir. Nicolas Sarkozy, qui va se coiffer d'une couronne de lauriers de champion de la liberté, aura saisi, au prix de six mois de guerre assortis de « dommages collatéraux », l'occasion de conforter la présence économique française dans la région, avec une conception de la démocratie synonyme d'ultralibéralisme. C'est le secteur de l'énergie, dont Total, qui a fait repartir hier la Bourse à la hausse à Paris. La crise n'est pas étrangère à la guerre. Pour autant, on ne saurait réduire ce qui s'est passé en Libye aux manœuvres des grandes puissances. Nul ne peut dire aujourd'hui de quoi demain sera fait mais il appartient au peuple libyen de ne pas se faire voler ce qui est, de toute manière, sa victoire. (source l'Humanité)
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