> Presse —« Le traitement à court terme nous laisse sous la menace de la crise » |
Lundi 22 Août 2011:
« Le traitement à court terme nous laisse sous la menace de la crise » Chef économiste chez Natixis, partisan d'euro-obligations pour financer les dettes publiques des États, Patrick Artus critique les velléités d'imposer une règle d'or « à l'allemande ». Entretien Alors que la panique s'est installée sur les marchés depuis la dégradation de la note américaine, vous avez réalisé une note pour le moins surprenante pointant ses avantages... Patrick Artus. La dégringolade de la semaine dernière n'est pas liée à la note américaine mais plutôt à l'état des banques. Les problèmes de bulles, de liquidités dans l'économie mondiale sont dus au fait que, depuis vingt ans, les États-Unis ont systématiquement maintenu un déficit extérieur financé par le reste du monde à n'importe quel prix. Les Américains vont dorénavant devoir conduire des politiques économiques responsables pour trouver de nouveaux prêteurs. C'est une évolution extrêmement favorable, même si cela a fait baisser les Bourses durant trois jours... Vous pointez les inquiétudes sur les banques européennes. Y a-t-il de nouveau risque de faillite ? Patrick Artus. Les banques européennes détiennent beaucoup de dettes publiques, contrairement aux banques américaines qui n'en ont pas. Il y a un lien extrêmement fort entre la situation des États et celles des banques. La réaction des marchés est une critique, avec un peu de retard, de l'incapacité des gouvernements à mettre sur pied une solution définitive. Jusqu'à maintenant, le problème de la dette a été réglé artificiellement en faisant racheter les dettes par la Banque centrale européenne (BCE). Un traitement à court terme qui nous laisse toujours sous la menace d'une nouvelle crise avec, cette fois-ci, un grand pays comme l'Italie. Ce qui serait évidemment épouvantable pour un certain nombre de banques. Quelle serait, à vos yeux, cette solution définitive ? Patrick Artus. Le problème de la zone euro, c'est la multiplicité des émetteurs. Que se passerait-il si, aux États-Unis, au lieu des émissions du Trésor, il y avait des émissions des cinquante et un États ? Il y aurait les deux tiers des États qui n'arriveraient pas à se financer. Les investisseurs ne voulant acheter que les meilleures dettes, nous sommes dans une situation qui n'est pas tenable. Il faut accepter l'idée que la seule solution durable à long terme c'est l'eurobond (euro-obligation – NDLR), afin d'avoir un émetteur fédéral et de créer une forme de solidarité. Et un financement direct par la BCE ? Patrick Artus. La BCE peut intervenir pour acheter des dettes en temps de crise, si l'État grec risque de faire faillite, par exemple. Mais ça ne peut pas être le rôle de la BCE d'imprimer des billets pour les dépenses publiques d'un État. Êtes-vous favorable à l'instauration d'une taxe sur les transactions financières ? Patrick Artus. Initialement, cette taxe servait à financer l'aide au développement. C'était un projet qui avait du sens. Aujourd'hui, cette idée est totalement pervertie puisqu'il s'agit de remplir les caisses des États. Avec un taux extrêmement faible, cette taxe ne va pas du tout moraliser les marchés financiers ni décourager les positions spéculatives. C'est également infaisable, si elle n'est pas appliquée à l'échelle de la planète, à moins de vouloir fragiliser ses propres places financières. Revenir sur un déficit à 3 % du PIB en 2013 ne risque-t-il pas de condamner la croissance ? Patrick Artus. Tout dépend de ce qu'on fait avec la dette publique : financer les dépenses courantes ou les investissements. La règle d'or à l'allemande qui consiste à n'atteindre aucun déficit public n'a aucun sens puisque ça revient à interdire l'investissement public par de l'endettement. La bonne règle est celle appliquée par les collectivités locales : le droit de financer par la dette uniquement les investissements qui font la croissance. Mais avant de la mettre en place, il serait raisonnable de ne pas revenir à un endettement plus soutenable en un ou deux ans car cela risque de tuer complètement la croissance. N'est-ce pas la politique mise en place par Nicolas Sarkozy avec la RGPP qui aujourd'hui est en échec ? Patrick Artus. Ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux, c'est la façon la plus idiote de réduire les dépenses publiques, sans compter que ça pose des problèmes de fonctionnement. Il faut se demander où nous avons besoin de fonctionnaires et où nous pouvons réduire. Il faut remettre à plat les moyens en fonction des besoins. Entretien réalisé par Clotilde Mathieu (source l'Humanité)
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