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Lundi 22 Août 2011:
Chronique. L'insatiable appétit des « marchés »
Par Francis Wurtz (1) La douloureuse expérience de cet été aura – espérons-le ! - définitivement prouvé à qui en aurait douté que l'appétit des marchés financiers est décidément insatiable et que toute stratégie visant à les « rassurer » plutôt qu'à s'en émanciper entraînera l'Europe entière dans un engrenage fatal, tant sur le plan social qu'en ce qui concerne la démocratie. Petit retour en arrière. « C'est une nouvelle ère qui commence dans l'histoire de l'euro », se rassurait « Die Tageszeitung », le journal allemand, au lendemain de l'accord « historique » du 21 juillet entre les chefs d'État et de gouvernement de la zone euro. Pour tous les responsables, la contagion de la crise était enfin enrayée. Nicolas Sarkozy célébrait « l'ébauche d'un fonds monétaire européen ». De fait, ce 21 juillet, les dirigeants européens avaient décidé de mesures qui, dans leur logique – rassurer les marchés -, paraissaient plus audacieuses que jamais : nouveau « plan d'aide » à la Grèce de 160 milliards d'euros, et surtout pouvoir confié au Fonds européen de stabilité financière (FESF), garanti par les États membres à hauteur de 440 milliards d'euros, dont 89 milliards par la France) de racheter des titres des dettes ou d'accorder des prêts à des pays de la zone en difficulté. Et ce dès fin septembre, après ratification des Parlements nationaux. Moins de 15 jours après, pourtant, la tempête financière se déchaînait de plus belle, touchant à présent le coeur de la zone : Espagne et Italie. José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, dut reconnaître piteusement que « les décisions audacieuses du 21 juillet n'ont pas eu les effets escomptés ». Devant cet échec, le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, cru calmer le jeu en rachetant les titres de dette publique en attendant que le FESF soit autorisé à le faire. Il accorda aussi des crédits supplémentaires aux banques qui hésitent de nouveau à se prêter de l'argent entre elles. Rien n'y fit : même « la BCE n'a pas réussi à modifier l'humeur des marchés », titrait « les Échos » le 5 août. Les « investisseurs » avaient remarqué qu'elle s'était contentée de racheter de la dette des petits pays. Ils exigeaient qu'elle fasse de même pour les gros. Standard & Poor's, l'agence de notation qui avait dégradé la note des États-Unis, s'en mêla, soulignant que « la BCE doit continuer à se montrer rassurante » pour les marchés. Ce qu'elle fit, en acceptant, le 8 août, ce qu'elle avait strictement refusé le 4 : de racheter des titres espagnols et italiens. Mais avec, en contrepartie, une quasi-mise sous tutelle de l'Italie, qui conduit l'ancien et illustre commissaire européen italien, pourtant libéral, Mario Monti à lancer ce terrible cri du coeur : « Désormais, l'Italie est dirigée par un podestat étranger ! » (Sous le fascisme, le podestat, nommé par décret royal, concentrait tous les pouvoirs normalement dévolus aux organes démocratiques dans chaque commune.) Quelle sera la prochaine étape dans cette descente aux enfers pour les peuples et la démocratie destinée à rassurer les marchés ? Un ministre des Finances européen doté d'un droit de veto sur les choix nationaux ? Un président européen (de préférence allemand, a suggéré un ex-économiste du FMI...) ? Un « conseil de stabilité » chargé de surveiller, gérer, sanctionner des États « laxistes » ? Comment contribuer à contrer cette fuite en avant redoutable et sans limite ? Nous y reviendrons dans la prochaine chronique. (1) Député honoraire du Parlement européen. (source l'Humanité Dimanche)
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