> Presse —« Nous pouvons et devons gouverner face aux banques et aux financiers ! » |
Dimanche 21 Août 2011:
« Nous pouvons et devons gouverner face aux banques et aux financiers ! » Par Jean-Luc Mélenchon Candidat du Front de gauche à la présidentielle Sous la pression des banquiers et des financiers et sur injonction de la triplette FMI, BCE et l'Union européenne cornaquée par le couple Merkel-Sarkozy, toute l'Europe est sommée d'appliquer la nouvelle règle d'or : restriction budgétaire – augmentation de la productivité du travail -, baisse des salaires. Le président Sarkozy fait entendre que cette équation est incontournable pour sortir de la crise et abaisser la dette publique. Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche à la présidentielle, explique les raisons de son refus de cette logique qui trouve cependant des échos du côté des sociaux libéraux. « Une rigueur accrue est synonyme de panne de la croissance », souligne-t-il. Il lance ici deux appels, l'un en direction de toutes les forces de gauche, l'autre à l'intention des forces sociales. Entretien. HD. Nicolas Sarkozy, par les voix de François Baroin et de Valérie Pécresse, annonce qu'il va réduire le déficit de l'État, quoi qu'il en coûte aux Français... Jean-Luc Mélenchon. C'est une erreur totale. Non seulement d'autres solutions de maîtrise de la crise existent, mais cette recette-là est la plus mauvaise car elle étouffe l'activité économique des pays et achève de vider les caisses de l'État. On a vu le résultat en Grèce, au Portugal, en Espagne... et, si l'on remonte un peu plus loin dans le temps, dans toute l'Amérique du Sud. C'est toujours le désastre, et il faut ensuite une vigoureuse révolution citoyenne pour relancer le pays. Je le dis très clairement : ce ne sont pas les marchés qu'il faut rassurer, mais les producteurs, c'est-à-dire les entreprises et les travailleurs. Les entreprises parce que le crédit, devenu rare, rend incertains les marchés de consommation et qu'elles sont donc bridées dans leur activité. Les travailleurs parce que de plus en plus précarisés, obligés à des dépenses supplémentaires de logement, d'éducation et de santé sans que leurs salaires n'augmentent. Ils diffèrent leurs décisions d'investissement privé. Nicolas Sarkozy est en train d'étouffer le moteur économique de la France. C'est une politique étriquée de soumission aux injonctions des financiers. HD. Mais réduire les dépenses pour faire face à la dette semble du plus grand bon sens. D'ailleurs, une étude récente (« le Parisien », le jeudi 11 août) montre que 85 % des sondés en partagent l'idée... J-L. M. Très difficile, en effet, de ne pas être impressionné par l'énorme travail de propagande que mènent sur ce point depuis des mois, conjointement, les libéraux et les sociaux-démocrates. Décrypter contre ce brouillage systématique est une rude tâche ! Mais, contrairement à ce que l'on nous serine à longueur de journée, il ne faut pas confondre la gestion du budget d'un État avec celle du budget d'un individu ou d'une famille. Ce qui fait notamment la différence, c'est qu'un travailleur ne décide pas de la hauteur de ses revenus, du montant de son salaire. L'État, si ! Et les libéraux l'ont délibérément appauvri par les politiques d'allégement fiscal offertes aux grandes entreprises et aux très hauts revenus. On doit, en outre, à Nicolas Sarkozy lui-même plus de 400 milliards de dettes supplémentaires. L'équilibre ne peut être un dogme ! Mais si l'on veut y revenir, il faut augmenter les recettes de l'État, c'est-à-dire augmenter la contribution de ceux qui peuvent donner : les grandes entreprises et notamment les banques, qui ont fait 21 milliards de profits en 2010, et les particuliers les plus riches. Taxer les revenus du capital comme ceux du travail rapporterait 100 milliards d'euros par an ! Deux fois le montant actuel des intérêts de la dette de l'État ! En France, nous ne sommes pas dans une crise de la dette, mais dans une crise due à l'inégalité des contributions à l'intérêt général. Couper dans les budgets des services publics et dans les prestations sociales est une très mauvaise recette : moins il y a de service public et de prestations sociales, plus les gens s'endettent pour faire face à leurs besoins. Le seul résultat des politiques d'austérité, c'est l'augmentation de la dette privée. Dans tous les cas, vous remarquez que les banques en profitent. C'est le contraire qu'il faut faire. Il faut gouverner face aux banques et aux financiers. Pour nous, il est inutile de rassurer les marchés. Il faut les dompter ! HD. Les agences de notation ont pris un poids décisif. Elles interviennent lorsque les États lèvent des fonds pour mettre en oeuvre leurs politiques. J-L. M. Ces agences ont un pouvoir exorbitant, encore renforcé il y a deux mois par l'Union européenne de M. Barroso. Non seulement les banques sont obligées de pondérer la valeur de leurs actifs en fonction des arrêts des agences de notation, mais celles-ci peuvent agir dans tous les États européens sans autorisation des gouvernements, et même désormais s'auto-saisir pour noter tous les instruments financiers de l'Europe. C'est d'autant plus scandaleux qu'elles ne sont pas aussi objectives et indépendantes qu'on aimerait nous faire croire. Qui sait, par exemple, que ces agences font payer leur notation et un abonnement qui correspond à la moitié de cette somme par an ? Qui sait qu'à chaque fois qu'une entreprise émet une dette dont la valeur a été notée par une agence, elle doit lui donner un pourcentage de la transaction ! En d'autres mots, ces agences qui perçoivent un impôt privé, proportionnel à l'importance de la dette émise (ce qui déjà est un scandale), sont donc intéressées à ce que les payeurs soient de mauvaise réputation pour augmenter leurs propres revenus. Tout cela est technique, mais il est de notre devoir de porter ces informations à la connaissance du public. Les agences de notation sont des instruments qui ont partie liée aux intérêts en présence. Il faut que tout le monde comprenne et cesse d'en avoir peur ! Ce sont des tigres de papier. HD. Mais que faire ? Avez-vous des propositions concrètes ? J-L. M. Ne pas capituler. Résister. Et frapper ceux qui nous frappent. Reprenons cet exemple des agences de notation. On peut faire en sorte que leur avis redevienne un avis sans conséquence. Certaines existent depuis un siècle, personne auparavant n'aurait songé à leur donner tant de pouvoir. Quant à la dette, nous devons décider que la BCE puisse prêter directement aux États. Cela résoudrait toute crise de dette souveraine possible. Ainsi aurions-nous pu éteindre l'incendie grec. C'est une mesure vitale, que nous soutenons au Front de gauche depuis le premier jour. À présent, c'est la dette elle-même qu'il faut analyser pour décider de ce qu'il faut annuler. Tout le monde sait que cette dette ne sera pas remboursée. Un nombre croissant d'économistes en conviennent, comme Jacques Attali ! Et je vais vous dire pourquoi ce serait juste : les banques prêtent à des tarifs prohibitifs aux États. 18 % pour les prêts à deux ans dans l'exemple de la Grèce. Motif avancé : le risque. Quel risque ? Les dettes sont à chaque fois garanties par la Communauté européenne. Il n'y a pas de risque. Ce haut niveau des taux d'intérêt constitue un enrichissement sans cause. Nous devons donc refuser de payer ces 18 % et n'accepter de payer qu'un taux acceptable de 2 ou 3 %. Il existe des solutions techniques et politiques à tous les problèmes qui nous sont posés. Ce qui nous arrive n'est pas une catastrophe naturelle, inéluctable comme tsunami ou l'éruption d'un volcan contre lesquels on ne peut rien. Contre une crise financière, on peut. Nous ne sommes pas de ceux qui peignent du noir sur le noir. Nous ne jubilons pas de la catastrophe qui frappe le capitalisme et n'avons jamais pensé construire notre projet sur des ruines. Ce que nous proposons est concret et permet d'aller de l'avant. C'est une question de caractère et de courage. Nous pouvons et devons gouverner face aux banques et aux financiers ! HD. Avec quelles forces mettre ces propositions en oeuvre ? J-L. M. Il ne faut pas attendre 2012. En 2012, nous aurons une tâche à accomplir : balayer la droite et mettre en place un gouvernement de réelle alternative – c'est ce que le Front de gauche essaie de construire. En attendant, il faut résister et contre-proposer. La clé de tout, c'est l'implication populaire. Comment la rendre possible ? Nous lançons deux appels. Le premier en direction de toutes les forces de gauche : résistons, n'acceptons pas le discours de la capitulation, le discours des comptables qui donnent la priorité à la réduction des déficits. La priorité absolue doit être la protection des travailleurs et des entreprises. Les socialistes, par les voix de Martine Aubry et de François Hollande, leurs principaux candidats à la primaire, semblent aller dans le sens d'un alignement sur la politique que propose la droite, le retour aux normes du pacte de stabilité dès 2013. Je demande qu'on y réfléchisse, cela veut dire qu'entre mai 2012, le moment où s'installerait un gouvernement dirigé par Martine Aubry ou François Hollande, et la clôture de l'exercice, il faudrait retirer 40 milliards du budget de l'État. Mais l'avenir reste ouvert, et l'on peut imaginer qu'à la faveur de leur débat, les socialistes choisissent de rompre avec ceux de leurs candidats qui incarnent la soumission aux diktats de la politique européenne. Car il faut toujours garder l'espoir que le dialogue fera avancer les idées. Et ce qui est nouveau dans la situation, c'est qu'il y a une vraie alternative : le Front de gauche. Il lui reste à faire ses preuves, à croître, à s'organiser. Mais il existe ! Il a des réponses concrètes à la situation et mérite que chacun s'y implique. C'est notre atout. Le deuxième appel, nous l'adressons aux forces sociales : elles ont un rôle essentiel, ce sont elles qui ont aujourd'hui la capacité de mobiliser le très grand nombre pour qu'il défende ses positions sociales. Évidemment, nous ne donnons de consigne à personne mais il est nécessaire d'organiser la résistance. Il ne faut pas céder, il ne faut pas céder un mètre de terrain. Nous ne sommes pas grecs, nous n'avons pas que Papandréou (premier ministre socialiste grec – NDLR) comme solution. Les événements vont s'accélérer. Ils peuvent donner le pire, c'est vrai. Le parti sécuritaire peut encore faire une fois illusion dans la décomposition de nos sociétés, dont témoigne aujourd'hui en particulier la réaction aux émeutes anglaises. Mais, à l'inverse, la situation peut aussi donner le meilleur, faisant appel aux ressources connues de notre peuple, sa capacité de résistance, de son niveau d'organisation syndicale combative assez unique en Europe. Ces deux traditions existent dans notre histoire et sont portées, à leur façon, d'un côté par le Front de gauche, la résistance, et de l'autre côté par la cohue confuse de tous ceux qui se cramponnent à l'ordre établi. HD. Les syndicats se réunissent le 18 août, justement. Qu'attendez-vous de cette réunion ? J-L. M. Nous, le Front de gauche, nous regardons dans les yeux nos alliés autant que nos adversaires. Au gouvernement nous saurions comment nous y prendre pour régler les problèmes de la crise. Mais nous sommes dans l'opposition. L'action est nécessaire. Seul le mouvement social en est capable aujourd'hui. Donc les organisations syndicales des salariés. J'ai grande confiance dans leur capacité de résistance. J'ai vu qu'en particulier la CGT vient d'éditer un document très lucide d'analyse de la politique européenne ! Une fois encore, il n'y a pas d'autre limite à l'exploitation que celles de la résistance à l'exploitation. J'espère donc que les organisations syndicales nous appellent à la lutte, unis. Le cas échéant, elles doivent savoir qu'elles peuvent compter sur le Front de gauche, sur tous ses militants et tous ses dirigeants. Nous nous tiendrons fermement à leurs côtés. Ne suivront leurs consignes et ne leur demanderons pas d'en rabattre sur leurs revendications ni de baisser le ton. HD. Pour beaucoup, des solutions nationales sont irréalistes car il y a l'Europe... J-L. M. Je reconnais le refrain selon lequel on ne peut plus rien faire dans le cadre de l'État-Nation. C'est en partie fondé, mais en petite partie seulement. On peut faire beaucoup de choses, surtout en France. Et surtout dans l'Union européenne. Nous sommes la deuxième puissance économique de l'UE. Notre poids dans la décision commune est considérable. Nous pouvons faire entendre notre voix et peser pour modifier les politiques européennes, pour frapper les agences de notation, pour demander le changement de statut de la BCE, pour lancer une politique de grands travaux en Europe. Nos concitoyens savent-ils quel est le montant de la dette de l'UE ? Je vais vous révéler : 0,00 euro. On peut intervenir au niveau européen, à condition d'avoir confiance en nous et de nous souvenir que nous sommes la France, cinquième puissance mondiale, et non la cinquième roue du carrosse. Entretien réalisé par Vincent Bordas, André Ciccodicola, Jérôme-Alexandre Nielsberg (source L'Humanité Dimanche)
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