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Samedi 20 Août 2011:

 

Crise : sortir des schémas de concurrence

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

Une fois de plus, ce sont les agences de notation, en l'occurrence Standard & Poor's, ces véritables « milices privées de la finance », qui ont déclenché la nouvelle phase de la crise. Pourtant combien de fois, du scandale Enron jusqu'à la débandade des Subprimes qu'elles n'avaient pas vu venir, ces dernières se sont trompées ! Il faut dès lors chercher ailleurs que dans leur clairvoyance la raison de leur position. Comme le suggérait Nasser Mansouri-Guilani, l'économiste de la CGT, « n'y a-t-il pas, derrière cette annonce, une opération qui vise à envenimer la panique pour renforcer la position des marchés financiers ? ». En montrant que même la première économie mondiale risque la faillite, ces agences, qui travaillent pour les spéculateurs et les financiers, veulent obliger les gouvernements à respecter ou à mettre en place les programmes d'austérité et à préparer les esprits à la fatalité et aux sacrifices au nom de la stabilité.

Cette stratégie des agences de notation ne réduit pas pour autant la responsabilité des banques et des États dans la situation de crise actuelle. La crise a des origines qui remontent à plus de trois décennies. La dette publique s'est accrue progressivement depuis le début des années 1970, rapidement dans les phases de crise, plus lentement dans les moments de reprise économique. Cette augmentation continue traduisait un dérèglement structurel des économies européennes et américaines. L'endettement public est venu suppléer l'insuffisance de débouchés et a été utilisé pour tenter de relever la rentabilité d'un capital en suraccumulation. Aujourd'hui nous sommes au bout du processus, ce que perçoivent les institutions financières et les marchés sur lesquels elles opèrent. L'endettement public, « béquille du capital », ne peut éventuellement se prolonger que si les gouvernements mettent à bas une partie des acquis sociaux et imposent un recul historique du niveau de vie de la majorité des salariés. Le pacte euro plus est là pour cela. Il ne semble pourtant pas suffire pour convaincre les spéculateurs. C'est la partie qui se joue, de la Grèce aux États-Unis en passant par l'Espagne et la France.

Le vrai enjeu consiste à maîtriser le déficit sans réduire les dépenses au détriment des salariés, des populations et du potentiel productif du pays. Il est nécessaire pour cela de créer les conditions pour que l'économie soit plus dynamique par la hausse des salaires, par l'emploi qualifié et stable. Il faut aussi augmenter l'impôt des plus riches, faire contribuer le capital, taxer les transactions financières. Il faut enfin supprimer les niches sociales et fiscales inutiles. Il y a de bonnes dépenses qui s'opposent à la multiplication des gâchis, aides, subventions, exonérations qui viennent alimenter les spéculations. L'exemple le plus classique est celui de la formation. L'un des atouts de la France réside dans sa main-d'oeuvre qualifiée. Le choix de diminuer les dépenses dans l'éducation nationale affaiblit le potentiel productif du pays à moyen et long termes. À l'inverse, investir dans l'éducation va provoquer une hausse du revenu national, permettre d'engranger plus d'impôts et de dégager des ressources supplémentaires qui permettront de rembourser la dette tout en renforçant le potentiel productif du pays.

Le risque de régression que portent les marchés financiers appelle des actions soutenues des salariés, en France et en Europe. Les travailleurs se sont déjà opposés à ces programmes d'austérité. Grèves en Grèce et au Portugal, mouvement des Indignés en Espagne en témoignent. Mais il ne suffit pas de se battre chacun dans son pays. Il faut être porteur d'un changement, d'un projet alternatif en Europe, voire au-delà. La réponse n'est ni dans un gouvernement économique de l'Europe ni dans la sortie de l'euro. Dans les deux cas, c'est l'austérité qui est au bout du chemin. Il s'agit de se rassembler autour de quelques exigences : hausse des salaires, développement des emplois qualifiés et stables, promotion des investissements productifs, ou encore taxe sur les transactions financières. Il y a également nécessité à sortir de ces schémas de concurrence et de compétitivité et à aller vers plus de solidarité. À l'inverse du fonds de stabilité financière qui ne répond qu'aux besoins des marchés financiers, il faudrait un véritable fonds de solidarité finançant les investissements dans un projet de développement humain durable.

(1) Économiste et syndicaliste.

(source L'Humanité Dimanche)

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