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Jeudi 18 Août 2011:

 

Éditorial

Un Munich économique

Par Patrick Apel-Muller

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ne sont pas sortis de conférence de presse sous les bravos d'une foule abusée. La faillite à répétition de toutes leurs entreprises pour rafistoler le système a vacciné contre les illusions. Ils n'avaient, mardi, qu'un mirage à vendre à l'opinion, celui de leur entente sans nuage. Pour le reste, si les responsables allemand et français se sont montrés d'une brutalité sans faille à l'égard des peuples européens, ils ont d'abord trahi une capitulation en rase campagne devant les marchés financiers. Ils n'ont même pas fait mine de leur résister et se sont affichés mardi comme les gendarmes de leurs intérêts. La « règle d'or » qu'ils veulent imposer à toute force est d'abord le règne de l'or : elle rend aux puissances financières ce qu'elles ont dû céder à la solidarité, au développement social, aux services publics et aux pouvoirs d'achat des salariés. Car ce sont bien tous ces postes budgétaires que les gouvernements conservateurs ou sociaux-libéraux entendent amputer, en se cachant derrière leurs obligations européennes. Ils veulent nous faire croire que nous nous sacrifierons à la grande idée européenne alors que c'est au profit de l'appétit des multinationales. Les affairistes se frottent déjà les mains en escomptant sur des centaines de milliards qui leur seraient bientôt jetés en pâture dans les dix-sept pays de la zone euro.

Pour cela, ils veulent imposer une discipline de fer, supprimer aux récalcitrants les fonds structurels qui malgré leurs défauts avaient facilité le développement des pays à la traîne, éliminer le risque qu'un peuple se mette en travers de leur projet. Voilà pourquoi la chancelière allemande et le président français veulent graver dans le marbre des Constitutions nationales cette soumission aux intérêts des marchés et nommer un superflic économique en Europe, qui imposerait cette loi sans craindre des élections démocratiques. Ont-ils l'illusion que ce sera pour l'éternité ? Sans doute pas, mais ils veulent solidement ligoter les ambitions transformatrices. Une fois cette affaire entendue, chacun marchant au pas cadencé des Bourses mondiales, nos deux compères examineront d'un autre oeil la question des eurobonds. Au fond, soumettre l'ensemble de la dette européenne aux calculs des marchés financiers leur semble une idée séduisante. Mais la puissante Allemagne ne veut pas financer les déficits des « Pigs », ces pays du Sud européens plus pauvres et moins solidement installés sur un socle industriel. Nicolas Sarkozy peut bien plastronner, il n'est que l'alibi de ces choix et le couple franco-allemand la justification de la maltraitance infligée aux salariés européens.

Capitulation et Munich économique, disions-nous... Il faut y ajouter : vision à court terme. Rien de ce qui a été arrêté dans les salons de l'Élysée, aucune des mesures que le gouvernement veut nous infliger dès le 24 août, n'est de nature à nous sortir de la crise. C'est un nouveau coup de fouet qui épuise le malade, comme il a étouffé il y a quelques mois la croissance grecque. La fièvre naît de l'atonie de la croissance, de la faiblesse de l'investissement public et social, d'un chômage qui gangrène la plupart des secteurs, d'un emploi infecté par la précarité et du détournement des richesses vers la spéculation plutôt que vers un développement industriel durable. C'est une fois encore reculer pour mieux chuter. Laurent Fabius vient de déclarer que ce sont les scrutins de 2012 qui décideront de l'application ou non de la « règle d'or ». C'est vrai. Mais, d'ici là, les citoyens doivent savoir par quoi elle serait remplacée. Il ne faudrait pas que voie le jour une autre vision de l'austérité, qui aurait la saveur et les douleurs de la « règle d'or ». C'est tout le débat qui traverse la gauche.

(source l'Humanité)

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