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Mercredi 17 Août 2011:
« Ils donnent le pouvoir aux pyromanes » Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE, critique les politiques d'austérité visant à rassurer les marchés. Il fait des propositions pour réduire l'emprise des spéculateurs. Entretien Quelle peut être la portée de la dégradation, sans précédent, de la note américaine ? Henri Sterdyniak. De tout temps, le secteur financier est parasitaire jusqu'à devenir totalement déstabilisant aujourd'hui. Il imagine des scénarios totalement improbables. Les États-Unis ne rembourseraient pas leur dette, la zone euro éclaterait, les pays comme l'Italie ou l'Espagne ne rembourseraient pas leur dette... Cela génère des séquences autoréalisatrices. En s'attaquant à la note d'un pays, les taux d'intérêt de celui-ci grimpent, ce qui le fragilise encore plus. Les marchés se retrouvent alors confortés dans leur prévision. Le cycle infernal est enclenché. On assiste à une nouvelle crise financière dont on ne peut pas encore préjuger de l'importance, mais qui va contribuer à déclencher une nouvelle crise réelle. N'est-ce pas déjà le cas en France avec l'arrêt brutal de la croissance au deuxième trimestre ? Henri Sterdyniak. Le chiffre du premier trimestre était trop fort et s'expliquait par des circonstances exceptionnelles, comme la fin de la prime à la casse. Alors que, dans tous les pays européens, règnent des politiques d'austérité qui pèsent sur la croissance, avec des taux de chômage extrêmement élevés, le scénario le plus probable est celui d'une croissance lente avec une certaine instabilité. Les réactions des dirigeants politiques face à ce nouvel épisode de la crise vous paraissent-elles à la hauteur ? Henri Sterdyniak. Elles sont catastrophiques. En poursuivant la réduction des déficits par la réduction des dépenses, les gouvernements donnent raison aux marchés. D'autre part, si tous les pays essaient de réduire leur déficit, l'activité chute. Avec une croissance faible, les recettes diminuent, les dettes et les déficits publics s'accroissent, et les marchés replongent. Les dirigeants se livrent à une tâche impossible qui consiste à rassurer les marchés. Ils donnent le pouvoir économique aux pyromanes qui sont responsables de la crise. En France, le gouvernement a fait une réforme des retraites pour rassurer les marchés et, demain, il lancera une réforme fiscale de la santé, une réforme des allocations familiales, ou encore une réforme de l'assurance chômage dans ce même but. La situation est donc préoccupante sur le plan économique, social et politique. Quelles sont les réformes nécessaires pour arrêter le cycle infernal ? Henri Sterdyniak. La politique économique qui vise à réduire la dépense publique n'est pas une fatalité. Il faut se ressaisir à l'échelle européenne et à celle du G20. Il faut diminuer le poids des marchés financiers, en garantissant les dettes des États et retirer aux agences de notation le droit de dégrader la note d'un pays. Pour garantir les dettes, la Banque centrale européenne (BCE) doit prendre des mesures pour imposer aux banques l'achat des titres publics à des taux raisonnables et, si nécessaire, elle doit intervenir directement dans le financement des États. La constitution d'un système bancaire public pour financer un certain nombre d'investissements utiles, dans les énergies renouvelables ou les innovations de transformation écologique dans notre industrie, est également indispensable. Ensuite, la zone euro doit adopter une véritable stratégie de croissance. L'activité économique ne peut pas s'appuyer sur l'endettement des ménages, sur des bulles financières, mais sur les salaires et les revendications salariales. La création d'une banque européenne de développement durable, pour financer des investissements favorisant l'emploi et la transition écologique, peut également être un instrument au service d'une véritable relance de la croissance. Le chef de l'État met l'inscription dans la Constitution d'une « règle d'or » au centre du débat politique. Quel est le danger ? Henri Sterdyniak. Nicolas Sarkozy profite de la situation pour faire pression sur une certaine fraction de la gauche. Il ne faut pas que celle-ci apparaisse raisonnable vis-à-vis des marchés. Notre objectif ne doit pas être de réduire à 3 % du PIB notre déficit public en 2013. Notre grand objectif doit être de relancer la croissance, l'emploi, de prendre des mesures fortes contre les marchés financiers et de coordonner la croissance à l'échelle européenne. En mettant dans la Constitution la prétendue « règle d'or », on obtiendra une politique budgétaire totalement corsetée. La contrainte sera tellement forte, qu'elle obligera à des mesures d'austérité supplémentaires. Entretien réalisé par Clotilde Mathieu (source l'Humanité)
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