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Samedi 13 Août 2011:

 

Éditorial

Quelque chose de pourri

Par Jean-Paul Piérot

Les scènes de violence dont la Grande-Bretagne a été le théâtre depuis le début de la semaine méritent d'autres explications, d'autres grilles d'analyse que la simple comparaison un peu hâtive avec d'autres événements passés, comme l'embrasement dans de nombreux quartiers populaires français en 2005. Elles ne sont pas davantage le signe d'un échec du

« multiculturalisme »,comme l'a prétendu, de manière prévisible, la principale représentante de l'extrême droite française jeudi au micro que lui a tendu complaisamment France Inter. Lorsque dans plusieurs grandes villes, de Londres à Manchester, de Nottingham à Birmingham, des magasins sont pillés par des jeunes gens et des adolescents, que des incendies sont allumés dans des quartiers, où la police est débordée par le nombre des émeutiers, lorsque les habitants sont obligés de défendre eux-mêmes le domicile familial où le véhicule, possibles cibles collatérales au milieu des affrontements urbains, comment ne pas y voir l'expression fulgurante d'années de frustration, d'un sentiment d'injustice qui habite une partie importante de la société ? C'est le résultat de quelque trente ans de démolition sociale entamée sous le règne de Margaret Thatcher et qui ne fut jamais remis en cause par les travaillistes après l'aggiornamento libéral imprimé par Tony blair.

Bien sûr, l'immense majorité des Britanniques ne peuvent se retrouver dans cette sorte de guérilla urbaine, ni approuver les destructions perpétrées. Ils n'en sont pas moins critiques à l'égard du gouvernement conservateur libéral arrivé aux affaires après l'échec du travailliste Gordon Brown. Les impressionnantes coupes budgétaires décidées par David Cameron dans les budgets des collectivités locales, les services publics, le secteur associatif qui supplée aux carences de l'État, sont mentionnées dans tous les témoignages. Il y a une évidente relation entre les événements qui ont éclaté à Tottenham et le fait que cette municipalité de la banlieue pauvre de Londres vienne d'être amputée de 41 millions de livres, avec comme conséquence, une baisse de

75 % de l'aide à la jeunesse et des bourses scolaires.

La société britannique est malade du libéralisme pur et dur et du social-libéralisme, qui n'est qu'une variante du premier. Elle ne s'en sortira pas davantage avec la « Big Society » de David Cameron, qui accroît encore le désengagement de l'État des services publics et des services sociaux. On connaît d'emblée le

résultat : l'accélération de la ghettoïsation des plus pauvres et du morcellement de la société. Les colères désespérées ne sont pas les colères les plus efficaces. En se ralliant aux dogmes libéraux, le Parti travailliste a obscurci toute perspective de changement politique. Pour un jeune Britannique d'aujourd'hui voué à la précarisation généralisée ou au chômage, la différence est ténue entre les tories et le Labour. Les dirigeants politiques et économiques adeptes de ce libéralisme sauvage savent que le prix à payer est, de temps à autre, de telles explosions. Faute d'alternative de gauche, la colère se perd dans la violence aveugle et sans lendemain. Elle n'en est pas moins le signe que, pour parapher Shakespeare, « il y a quelque chose de pourri dans le royaume ».

(source l'Humanité)

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