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Jeudi 11 Août 2011:

 

« La technocratie prend le pouvoir »

Pour Dino Greco, directeur de Liberazione et ex-dirigeant de la CGIL, le patronat italien profite, avec la BCE, de la faiblesse d'un Berlusconi discrédité pour repasser à l'attaque.

Tournant décisif ou exercice banal ? Que pensez-vous de la lettre adressée par la Banque centrale européenne (BCE) au gouvernement italien ?

Dino Greco. Il n'y a aucun doute, la BCE se comporte d'une manière absolument inédite. Ce qu'elle ordonne au gouvernement italien, ce n'est pas une indication politique générale, c'est un véritable kit de l'intervention : coupes dans l'État social, dans la protection sociale, dans la santé, attaque contre le statut du travailleur qui fixe les rapports sociaux fondamentaux, contre les garanties sur le marché du travail, contre les retraites... D'inspiration parfaitement libérale, nous pourrions rapprocher ce kit de celui qui a déjà conduit à la boucherie sociale en Grèce ! Ce qui saute aux yeux, c'est que la technocratie financière prend le pouvoir. Et, en Italie, cette donnée politique fondamentale rencontre un contexte particulier, celui de la faiblesse extraordinaire du gouvernement. Le gouvernement italien est une clique corrompue, caractérisée par son hypocrisie, son cynisme et son inconsistance politique. Je crois que, dans l'histoire de l'Italie, il faudrait remonter très, très loin en arrière pour retrouver une situation aussi catastrophique que celle que nous vivons aujourd'hui.

Le patronat et les milieux d'affaires applaudissent cette intervention de la BCE. Qui gouverne aujourd'hui en Italie ?

Dino Greco. Désireux de se débarrasser de Berlusconi, le patronat préconise ces jours-ci, de manière très hypocrite, la mise en place d'un « gouvernement de solidarité nationale ». Des noms circulent pour le diriger. Il pourrait s'agir de Mario Monti, l'ex-commissaire européen au Marché intérieur, plutôt que Luca Cordero Di Montezemolo, l'ancien patron des patrons italiens... Mais, quoi qu'il en soit, ce gouvernement entreprendrait exactement les réformes demandées par la BCE, c'est-à-dire le parfait catalogue néolibéral : allongement de l'âge du départ à la retraite, augmentation des impôts les plus injustes comme la TVA, réduction des transferts budgétaires aux collectivités territoriales, attaques contre les services publics et la protection sociale... Évidemment, ils n'ont absolument pas l'intention d'adopter des mesures pourtant très utiles comme, par exemple, la lutte contre l'évasion fiscale (plus de 230 milliards d'euros envolés chaque année) ou l'institution d'une taxe sur le patrimoine (une taxe de 0,1 % sur les patrimoines de plus d'un million d'euros permettrait d'encaisser plus de 15 milliards d'euros).

Comment réagissent les syndicats et la gauche ?

Dino Greco. Pour promouvoir un changement radical, il faudra que les forces sociales descendent sur le terrain. Hélas, nous avons aujourd'hui un syndicalisme dramatiquement défaillant. Ce qui me surprend du côté de la CGIL, je le dis non sans amertume, c'est l'absence d'une position propre dans cette situation. Cela dit, en septembre, quand on devra commencer à présenter les comptes à tout le monde, les luttes sociales reprendront, j'en suis sûr. Je ne voudrais pas donner dans le slogan, mais tout de même : à une recette à la grecque, il faut une riposte à la grecque !

Entretien réalisé par Thomas Lemahieu

(source l'Humanité)

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