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Mercredi 10 Août 2011:

 

Éditorial

À la lettre

Par Maurice Ulrich

En d'autres circonstances, ce pourrait être cocasse de lire dans la chronique économique du Figaro qu'il faudrait « être bien naïf pour dire ou pour écrire que la démocratie est menacée par la finance » le jour même où la lettre secrète de Jean-Claude Trichet à Berlusconi insulte l'Italie, avec le consentement de son premier ministre en vacances en Sardaigne, en lui dictant un véritable programme de gouvernement ultralibéral. Mais il y a plus. Hier, le même Jean-Claude Trichet s'adressait avec le ton d'un imperator aux États européens, sommant les gouvernements de « faire leur travail ». Hier, le ministre allemand de l'Économie et vice-chancelier suggérerait la création d'un « conseil de stabilité », appelé à encadrer les politiques financières des États, voire à les sanctionner ou à décider à leur place de l'utilisation de fonds structurels.

En clair, dans la foulée des entretiens dimanche de Nicolas Sarkozy et Angéla Merkel, déjà coauteurs du pacte euro plus, une nouvelle étape est en passe d'être franchie, qui vise à placer sous tutelle l'ensemble des États et leurs peuples. Ce que Nicolas Sarkozy prétend faire voter démocratiquement comme « une règle d'or » par le Congrès, c'est-à-dire par l'Assemblée et le Sénat réunis, n'est qu'une mascarade, puisque ce serait de toute manière imposé d'en haut. Il est assez singulier, soit dit en passant, de découvrir dans le Monde d'hier un éditorial pétri de zèle venant conforter ce qui devient, à l'échelle de l'Europe, un véritable coup d'État contre les peuples, en stigmatisant les « mauvais perdants » et « les premiers responsables de la crise actuelle : en l'occurrence les États et leurs autorités politiques », avant, in fine, de justifier « les arbitres », à savoir les agences de notation. Oubliées les subprimes, oubliés le renflouement des banques et le transfert des dettes privées sur les dettes publiques ! Oui, les autorités politiques ont leur responsabilité, considérable, dans ce qui arrive, mais ce n'est pas comme l'entend le Monde. C'est au contraire parce qu'elles ont accompagné et servi la financiarisation et la libéralisation de l'économie, contre la croissance réelle et l'action publique. Et ce qui leur est demandé, et ce à quoi elles s'emploient pour répondre aux marchés, c'est-à-dire pour garantir aux investisseurs la rentabilité de leurs capitaux. C'est d'aller plus loin encore.

La crise a fait ainsi éclater deux des fables du capitalisme. Celle de la fameuse main invisible qui allait réguler d'elle-même l'économie, et maintenant, de la manière la plus claire qui soit, celle qui alimentait l'idée, comme si cela allait de soi, que le capitalisme allait de pair avec la démocratie. Non, la liberté des capitaux, c'est un talon de fer pour les peuples, et elle devient, comme le disait Montesquieu des âmes corrompues par le luxe,

« l'ennemi des lois qui la gênent ».

Mais il ne s'agit pas seulement de la souveraineté des États, de leurs élus et des peuples. Il s'agit bien de leur interdire d'autres choix politiques que ceux qui leur sont ainsi dictés. Or c'est bien cela qui est en jeu et qui motive, de l'Espagne à Israël, des millions de jeunes Indignés, c'est bien cela l'ambition d'une partie des forces de gauche, en Europe comme en France. Il n'y a rien à gagner à se soumettre à cette politique autoritaire et violente, fût-ce avec des conditions comme cela semble le cas pour certaines voix au PS. La gauche se doit d'en débattre et d'y inviter tout le pays. C'est à cette seule condition que deviendront possibles les changements profonds nécessaires.

(source l'Humanité)

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