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Lundi 8 Août 2011:
Éditorial La note et la facture Par Jean-Paul Piérot La rétrogradation des États-Unis par l'agence Standard & Poor's illustre, jusqu'à la caricature, le niveau atteint par la domination des marchés financiers sur la politique. Que la première puissance économique mondiale, après d'autres États de poids plus modestes, soit ainsi désignée comme pays à risque pour ses créanciers par une société privée, sans aucune légitimité à exercer un pouvoir aussi exorbitant, devrait stupéfier les observateurs. Les marchés dictent leurs choix et émettent des notes, constituent des classements qui, loin de n'être qu'indicatifs, entraînent des conséquences lourdes pour les peuples. C'est à eux de payer la facture. Tout l'art de la politique se résumerait à rassurer les marchés financiers, dont on redoute tant les colères, tout en évitant de s'aliéner trop fortement les opinions publiques. Pourtant, les marchés financiers ne sont pas des êtres impalpables, dotés de la fameuse « main invisible » décrite en son temps par Adam Smith, théoricien du libéralisme, mais des hommes qui spéculent pour accroître leurs profits et n'ont que faire de l'intérêt général. Le spectre de la récession hante l'Europe et les États-Unis, alors que les grands pays émergents voient leur croissance marquer le pas. La décision spectaculaire de Standards & Poor's va-t-elle précipiter le monde dans la spirale de la crise économique ? Baisse de l'activité économique, chômage massif, rentrées fiscales insuffisantes occasionnées, notamment, par le choix des gouvernements, aux États-Unis comme en France, d'épargner les foyers les plus riches, sont autant d'éléments qui alourdissent les dettes publiques. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, ce que souligne la concomitance des crises de la dette outre-Atlantique et dans la zone euro. Les dirigeants du G7 s'agitent et surtout n'entendent rien changer au cours de leur politique, qui vise à offrir aux investisseurs les prix les plus compétitifs obtenus en pressurant les salaires et en remettant en cause les conquêtes du progrès social. Mais c'est cette politique qui assèche la croissance. Les plans d'austérité exigés aux États-Unis, où l'ébauche d'un système d'assurance maladie, promis par Barak Obama, est plus que jamais sur la sellette, en Grèce, en Italie ou en Espagne, feront chuter la consommation des ménages, moteur de la croissance. Et l'engrenage de la crise économique et sociale continuera sa rotation de vis sans fin... Telle est la voie empruntée en France par Nicolas Sarkozy, qui espère tirer argument de ce dernier épisode américain pour faire avaliser la « règle d'or » visant à dessaisir la représentation nationale d'une bonne part de souveraineté en matière de déficits publics. Le sentiment de fatalité, qui conduirait à l'impuissance, ne parvient pas à étouffer la forte demande sociale. À Athènes, comme à Madrid, c'est plutôt l'indignation qui prévaut, et jusqu'en Israël, qui a connu, dimanche, la plus grande manifestation de son histoire. En réalité, l'Europe et le monde ne sont pas voués à la crise permanente. Une politique de rupture est possible, comme nous l'expliquons dans ce numéro, dès lors que l'on ose sortir des clous du libéralisme en jetant bas les oukazes de ses agences de notation. (source l'Humanité, aujourd'hui 8 Août)
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