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Dimanche 7 Août 2011:
Pour que le choc d'Oslo provoque un sursaut Par Francis Wurtz (1) « Nous devons être très clairs : distinguer les vues et opinions extrêmes qu'il est complètement légal et légitime d'avoir, et le recours illégitime à la violence pour tenter de mettre en œuvre ces vues extrêmes. » Ces propos du premier ministre norvégien, Jens Stoltenberg, après la tragédie du 22 juillet, méritent discussion. Certes, l'on ne peut que saluer l'esprit de tolérance que ce pays tente traditionnellement de faire vivre et souhaiter qu'il perdure malgré cette épreuve sans précédent. De même, personne ne songe à interdire à quelqu'un d'« avoir » une opinion, fût-elle « extrême ». En revanche, continuer à considérer « complètement légal » et même « légitime » la banalisation d'un discours de haine, raciste et xénophobe, sur « la colonisation islamique de l'Europe », débouchant sur un appel à la « croisade » et l'encouragement à « tuer (plutôt) trop que pas assez » pour ne pas risquer « de réduire l'impact idéologique désiré de cette frappe » (extraits du « Manifeste) publié par Anders Breivik peu avant le carnage), reviendrait à défendre une conception de la liberté d'expression hautement problématique. Il n'est pas sans intérêt, à cet égard, de prendre un peu de recul par rapport à l'image un peu mythique des « démocraties paisibles » de Scandinavie. Les mouvements populistes ne cessent d'y étendre leur influence. En Norvège même, le Parti du progrès – auquel le tueur d'Oslo a appartenu jusqu'en 2006 – est depuis 2009 la première force d'opposition et recueille 23 % des suffrages. Certes, pour devenir des partis de masse, ces formations s'efforcent d'user d'un langage audible par le plus grand nombre. Cela ne les empêche nullement de constituer de puissants viviers de l'idéologie islamophobe. Il n'est, dès lors, pas étonnant que, nourris à ce lait empoisonné, les plus radicaux de leurs sympathisants poussent la « logique » du « choc des civilisations » ou de l'« Eurabia » jusqu'au bout... Le cas de la Norvège est, de ce point de vue, dramatiquement éclairant : voilà une société longtemps ethniquement et culturellement « homogène » et qui, comme d'autres, s'ouvre depuis deux ou trois générations à des immigrés de diverses origines. Compte tenu de sa situation économique relativement favorable et de ses traditions de tolérance, elle était parfaitement en mesure de réussir ce brassage humain. C'était sans compter avec le travail insidieux de déstabilisation identitaire mené « légalement » par des mouvements xénophobes au nom de la « résistance à l'islamisation rampante » du pays. On voit aujourd'hui jusqu'où peut conduire l'expression libre de ces « vues extrêmes » sans bataille politique appropriée : l'islamophobie tue. Souhaitons pour le moins que le choc d'Oslo serve de révélateur et provoque un sursaut. Qui n'a pas, d'emblée, en apprenant la nouvelle de l'attentat dans la capitale norvégienne, pensé à un attentat terroriste... islamiste ? Désormais cette « évidence » n'a plus de raison d'être : il y a des terroristes BCBG (blanc, chrétien, blond, glabre) ! Plus généralement et surtout on ne peut plus laisser sans réagir se développer des campagnes, frontales ou subreptices, contre l'islam, « les musulmans » ou « les Arabes ». Ce débat ne concerne évidemment pas que les pays nordiques. Il vaut notamment pour la France où la démagogie islamophobe est devenue un marqueur de premier plan de la bataille politique, non seulement à l'extrême droite mais jusqu'au plus haut niveau de l'État. Attention danger ! Après Oslo, personne ne pourra plus dire : « Comment une telle horreur est-elle possible chez nous ? » (1) Député honoraire du Parlement européen. (source L'Humanité Dimanche)
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