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Vendredi 5 Août 2011:

 

Éditorial

Ils ont choisi l'épouvante aux ventres gonflés

Par Patrick Apel-Muller

Trente mille enfants somaliens de moins de cinq ans sont morts de faim durant les trois derniers mois, en raison de la famine qui sévit dans la Corne de l'Afrique. 12 millions de personnes sont touchées en Somalie, en Éthiopie, au Kenya, à Djibouti... Le drame gagne comme une lèpre. Mercredi, l'état de famine a été décrété par l'ONU dans trois nouvelles zones du sud de la Somalie et tout le sud du pays pourrait être concerné dans un peu plus d'un mois. L'Ouganda est désormais concerné. La catastrophe pourrait dépasser celle qu'avait connue l'Éthiopie en 1984, au cours de laquelle 1 million de personnes avaient péri. Mais les grands de ce monde se hâtent lentement. Depuis avril, les organisations humanitaires sonnent le tocsin mais moins de la moitié des 2 milliards de dollars nécessaires pour faire face à la situation ont été réunis. Et encore ne s'agit-il pour l'essentiel que de promesses de dons !

Le gouvernement français a dégagé 30 millions d'euros. C'est treize fois moins que les 400 millions d'euros qui ont été versés à Bernard Tapie à l'issue des petits arrangements de Mme Lagarde. Et combien de fois moins que le coût de la guerre en Libye ? On imagine que Nicolas Sarkozy lève les yeux au ciel comme si tout le mal venait de l'absence de nuages, là-bas où l'Afrique pointe sa corne vers l'Asie. La sécheresse est l'arbre qui cache la forêt des spéculations – le prix des céréales a augmenté de 270 % en un an -, le surendettement des pays pauvres qui empêche de constituer des stocks de réserve, la réduction de l'aide au développement qui interdit l'essor de l'agriculture et l'irrigation des terres arables. Les dirigeants de la planète ont mobilisé des milliers de milliards de dollars pour secourir les banques et les marchés financiers depuis trois ans mais le budget du Programme alimentaire mondial est tombé de 6 milliards de dollars à 2,8 milliards. Tout cela ne doit rien à la fatalité climatique. C'est le choix de l'épouvante aux ventres gonflés, aux membres gelés et aux yeux effarés, considérée comme un dégât collatéral à la grande explosion des profits des multinationales.

Puisque aucun sursaut moral n'a réveillé les ténors du G20 ni modifié l'ordre du jour des conseils d'administration feutrés, il faut désormais en appeler à « l'arbitrage de la conscience des peuples », comme l'écrivait Jaurès. Il faut secouer cet ordre chaotique et implacablement prévisible qui ravage la planète. D'autres voix que celles des associations humanitaires doivent se faire entendre désormais, pour que l'emportent l'humanité et la raison. Quelles bombes sèment en effet pour l'avenir ce mépris de la vie ! L'aide doit être décuplée, accélérée, acheminée sans délai.

S'il ne viendrait à personne l'idée de comparer la vie des réfugiés de Dolo Ado que nous relatons dans ce numéro ou celle des habitants de Mogadiscio qui ne peuvent rompre le jeûne du ramadan parce qu'ils n'ont rien à manger la nuit tombée à l'existence de Lisboetes ou d'Athéniens, les difficultés d'existence que rencontrent les uns et les autres profitent aux mêmes. Les fonds qui spéculent sur l'alimentation se ruent aussi sur les dettes des États. En traquant la dépense publique, c'est l'argent des solidarités et de l'intérêt commun qu'ils suppriment. L'austérité assèche l'aide au développement comme les budgets sociaux. Il n'y a pas de vases communicants entre eux, seulement une même hémorragie qui draine les ressources vers les marchés financiers. C'est elle qu'il faut tarir.

(source l'Humanité)

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