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Vendredi 5 Août 2011:
Et si on parlait de la dette des banques... Par Jean-Christophe Le Duigou Est-ce le fait de s'exprimer sous couvert d'une réflexion théorique sur les rapports entre les banques et la puissance publique, mais l'analyse de la crise financière développée dans la revue « Commentaire » de cet été par Jacques de Larosière, ancien gouverneur de la Banque de France, ancien responsable d'institutions financières internationales (FMI, BERD), se révèle particulièrement lucide. Elle mérite que l'on s'y attarde alors qu'à l'évidence la crise est loin d'être finie. Le diagnostic que Jacques de Larosière est précis : « Les banques ont pris des risques sans contribuer à la croissance économique. » Son exposé critique ne laisse place à aucune ambiguïté. Restent les leçons à en tirer... La croissance financière guidée par la volonté de dégager des taux de profit élevés est clairement dénoncée. L'ancien directeur général du FMI souligne que les transactions financières, dont la finalité est de prendre des positions spéculatives, se sont multipliées, gonflant considérablement le bilan des banques. L'endettement de ces dernières, associé à des taux d'intérêt bas, a été le principal vecteur de la constitution de cette bulle spéculative. Ainsi aux États-Unis, la dette des institutions financières est passée en 30 ans de 16 % à plus de 120 % du PIB. À ce prix les institutions financières ont acquis une position dominante qui leur a permis de peser structurellement sur les conditions de partage des profits. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : à la veille de la crise, 40 % de tous les profits réalisés par l'ensemble des entreprises américaines provenaient des seules institutions financières ! Ces 40 % sont évidemment bien supérieurs au poids réel de l'activité bancaire dans l'économie, qui tourne autour de 10 % du PIB américain. On mesure mieux le côté prédateur de la croissance de cette finance libéralisée. L'analyse du plan de sauvetage mis en oeuvre après le déclenchement de la crise, qui s'apparente à une socialisation contrainte des pertes considérables du système financier, n'est pas moins précise. Elle éclaire d'un jour nouveau la crise de la dette qui sévit en Europe et aux États-Unis. Les montants globaux des opérations de renflouement engagées (liquidités, recapitalisation, garanties) assurées par les gouvernements et les banques centrales, sont sans précédents. Rien que pour l'Europe, l'addition se monte à 3 800 milliards d'euros, soit le quart du PIB européen. Pour les États-Unis, elle dépasse les 12 800 milliards de dollars, soit les trois quarts du PIB américain. Tous ces montants n'ont pas été utilisés, mais ils ont été mis en place et c'est ce qui importe. De plus, ils ne comprennent pas les plans de relance publics pour compenser la dégradation de la situation économique. Troisième constat sans appel, ce sont dans les pays où le système bancaire s'était le plus rapproché du modèle anglo-saxon que les dégâts ont été les plus considérables. Il s'agit bien sûr des États-Unis et de la Grande-Bretagne, mais aussi de l'Irlande, de la Suisse et de l'Allemagne. Le cas irlandais est caricatural. Au déclenchement de la crise, le total du bilan des principales banques irlandaises représentait plus de 10 fois le PIB du pays ! Tout cela était permis par l'adoption des normes comptables, concoctées aux États-Unis, qui valorisaient les actifs aux prix du marché, gonflant artificiellement leur valeur et les profits, entretenant par là une euphorie injustifiée dans la phase ascendante du cycle. Jacques de Larosière n'hésite pas à dénoncer « un système qui a favorisé les stratégies risquées assises sur une intime conviction d'invulnérabilité ». Mais il reste curieusement en chemin dans ses conclusions, proposant une énième vague de régulation, plus dure certes, alors qu'il mentionne justement que la précédente, appelée « Bâle 2 », n'est toujours pas appliquée par une majorité de banques anglo-saxonnes. Comment alors gérer le rapport entre d'une part un système financier qui défend bec et ongles sa totale autonomie dans la gestion de ses risques et de ses sources de profit, et d'autre part la puissance publique qui sait qu'au vu des conséquences d'une faillite bancaire sur le système économique et social elle devra intervenir ? La seule voie efficace serait le retour de la puissance publique comme actionnaire des banques, et la constitution d'un « pôle public financier ». C'est la conclusion qui s'impose. (1) Économiste et syndicaliste (source L'Humanité Dimanche)
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