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Lundi 1er Août 2011:

 

Le danger du « vaquer »

Par Gérard Filoche, inspecteur du travail.

Alors qu'elles ne figuraient pas dans le programme du Rassemblement populaire, les 40 heures furent obtenues, en juin 1936, sous la pression de la grève générale, il n'y eut guère de complications. La loi affirmait simplement que la durée hebdomadaire légale était fixée à 40 heures. Jusque-là, chacun admettait qu'on mettait son bleu de travail sur son temps de travail, on casse-croûtait sur ses 8 heures quotidiennes de boulot, pauses pipi ou douches étaient comptabilisées dans la durée légale. C'est le retournement hostile au Front populaire qui a donné naissance aux interminables « décrets d'application de

37 », sous Daladier et Chautemps, qui inventèrent des contournements à la durée légale, branche par branche. De la coiffure à l'alimentation, en passant par l'industrie, les patrons s'ingénièrent à récupérer ce qu'ils avaient dû céder sous la pression du mouvement social. Par la loi du 28 août 1942, Pétain, qui n'osa pas annuler les 40 heures, déduisit les temps d'habillage, de casse-croûte et de pause du « temps de travail effectif ».

Il a fallu attendre les lois Aubry pour qu'une double tentative soit faite, en mars 1998 puis en novembre 1999, pour en revenir à une notion saine de la définition du temps de travail. Le temps de travail effectif devait se définir comme « le temps où le salarié est subordonné à l'employeur ». Puisque le contrat de travail se caractérise comme un lien de subordination, l'employeur dispose de votre temps et vous êtes payé en conséquence. Cette définition était passée à l'Assemblée nationale, mais le Medef s'insurgea violemment et fit le siège de Lionel Jospin et de Martine Aubry pour l'empêcher. Il lui fut, hélas, concédé un amendement émanant du Sénat. « Le temps de travail effectif est celui où le salarié est sous les directives de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles. »

Le « vaquer librement » est devenu le sésame pour contourner la durée du travail effectif. Il sert à réintroduire des temps non payés ou sous-payés dans la journée et la semaine. Les employeurs animèrent des colloques sur les « temps de présentéisme contemplatif ». Pendant qu'on fait pipi, on « vaque librement ». Pendant qu'on se désaltère sur un chantier de bâtiment en plein cagnard, on « vaque à une hydratation personnelle ». Pendant qu'il attend au cul du camion qu'il soit déchargé, le chauffeur « vaque ». Quand il se déshabille et se rhabiller matin, midi et soir, 117 heures par an, pour des raisons d'hygiène, le salarié de l'agroalimentaire « vaque » aussi aux fantaisies qui occupent son esprit. Vaquez-vous librement en vous rendant d'un lieu de travail à l'autre ? Oui, car Jean-Louis Borloo en janvier 2005, dans sa loi de « cohésion sociale » (sic), a décidé que les temps de déplacement professionnel n'étaient plus du « temps de travail effectif ».

Une bonne façon de raviver les 35 heures, c'est d'en revenir à la bonne définition du temps de travail : le temps de travail, c'est quand vous êtes « sous les directives de l'employeur ». Point barre.

(source L'Humanité Dimanche)

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