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Dimanche 24 Juillet 2011:

 

4000 nouvelles usines... et aucune chez nous ?

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

Chez Hewlett-Packard à Solvay, de Carterpillar à Shell, en passant par Arkema, BMW et Total, ces grandes firmes annoncent la mise en chantier de nouvelles usines. La presse économique notant le besoin de nouvelles capacités de production s'en fait un large écho, voulant y déceler « la fin de la crise ». Élargissons l'approche. Selon les statistiques de la conférence spécialisée de l'ONU dans le commerce et le développement, la Cnuced, qui vient de se réunir à Genève, ce ne serait pas moins de 4000 projets d'investissement de production qui seraient ainsi lancés à l'échelon du monde, ces deux dernières années, représentant une valeur totale d'investissement de plus de 270 milliards de dollars.

Reste que ce mouvement semble prioritairement concerner la Chine. L'Inde, le Brésil, la Russie, l'Afrique du Sud, les pays émergeant en général, qui concentrent un bon tiers des nouveaux investissements. La France et l'Europe restent à l'écart de cette reprise. Les exceptions sont peu nombreuses : Fleury-Michon investit dans le Nord-Pas-de-Calais, BMW en Grande-Bretagne, EDF à Dunkerque. Domine encore chez nous, à l'exception de l'Allemagne qui engrange des commandes de biens d'investissement, plutôt une logique de restructurations et de fermetures de sites. Les affaires de PSA à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et de Renault à Flins (Yvelines) sont emblématiques mais pas uniques. Seul le contexte préélectoral semble encore freiner les annonces ! En tout cas, il est significatif que le nombre de créations et d'extensions de sites en France est reparti à la baisse.

Il faut remonter aux causes de cette situation, énoncer les problèmes et tirer les leçons. Certaines décisions prises dans les années 1980, dont la portée n'avait pas été mesurée, illustrent une stratégie du renoncement industriel. Les gouvernements successifs ont laissé sombrer la machine-outil, l'imagerie médicale, l'industrie chimique, la filière bois, le secteur du textile-habillement, etc. Cette erreur capitale se paye aujourd'hui au prix fort, comme le montrent les déficits récurrents du commerce extérieur.

En fait, la France a perdu pendant 20 ans toute vision industrielle. À partir d'une analyse fausse des réalités, le thème de la « société postindustrielle » a introduit le doute sur l'importance de l'industrie. Plus idéologiquement c'est l'approche industrielle, qualifiée péjorativement d'« industrialiste » qui a été rejetée, parfois non sans parti pris et violence. Aujourd'hui encore, des responsables politiques n'hésitent pas à présenter le développement des services aux personnes et les « emplois verts » comme une voie alternative à l'industrialisation, considérée comme étant dévastatrice de l'environnement. Certes, de tels services et emplois sont indispensables, mais cela ne remet pas en cause la nécessité du développement industriel sur de nouvelles bases.

Engager une politique industrielle ne veut pas dire viser le maintien en l'état des structures productives anciennes, ni ambitionner de revenir à la politique des grands projets des années 1960. La question est tout autre. Il s'agit de savoir comment notre pays va passer des activités et des emplois industriels d'aujourd'hui, partout menacés, aux activités et emplois industriels et de services aux entreprises de demain, emplois plus qualifiés, pérennes, sur des bases technologiques nouvelles plus respectueuses de l'environnement.

La France ne peut se passer d'une stratégie globale de développement cohérente et efficace de l'industrie et des services. À ce titre, on ne peut plus avoir d'un côté des efforts industriels, et de l'autre des politiques publiques d'équipement, de santé, de transport et d'énergie qui ne prendraient pas en compte la nécessité de la promotion de l'emploi industriel et de services de qualité sur le territoire européen.

Il n'est pas trop tard. Il faut d'urgence une politique en faveur de l'industrie et des services aux entreprises, une politique conséquente, ouvrant des perspectives sociales et économiques. Cela pose la question des priorités, des outils de la puissance publique et d'une organisation des entreprises qui portent ce choix.

Au risque de choquer, je dirai que le problème essentiel n'est pas le bénéfice affiché par telle ou telle entreprise, fût-ce Total ou Sanofi, mais bien le lieu où elle choisit de se développer, d'investir, de créer des emplois !

(1) Économiste et syndicaliste

(source L'Humanité Dimanche)

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