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Vendredi 15 Juillet 2011:

 

Éditorial

Les assignés à résidence de l'été

Par Dany Stive

Qui n'a jamais rêvé de ses futures vacances ? De cet espace de liberté pendant lequel on laisse au vestiaire son costume social et les obligations qui vont avec. De cette parenthèse enchantée qui invite à s'extraire de son quotidien, à changer de peau, à respirer, à ralentir... Un rêve inaccessible pour des millions d'entre nous. À peine 60 % des Français partent en vacances et cette proportion a tendance à diminuer avec le temps. Selon le baromètre Opodo 2009, les départs ont baissé de 10 % sur six ans. Pour de multiples raisons, mais la première reste, massivement, le manque de moyens. À croire que les oripeaux du pauvre lui collent à la peau, quelle que soit la saison.

Dans notre pays, les vacances sont un attribut social du bonheur. Ne pas partir est un marqueur d'exclusion. Une grande partie d'entre nous n'a pas accès à ce rite socialement reconnu et valorisant, qui a, depuis belle lurette, dépassé la seule valeur de récupération de la force de travail pour devenir un fondement de notre civilisation et de notre mode de vie. Il n'est pas si aisé, pour une ou deux semaines, de baptiser le chômage « vacances », au-delà même du flicage exercé contre les chercheurs d'emploi, de la dénonciation de la prétendue oisiveté par une droite « bien-pensante », de détournement par Nicolas Sarkozy de la « valeur

travail ».

Les sociologues nous disent qu'aujourd'hui des familles n'imaginent même pas pouvoir partir en vacances. Une aventure trop hasardeuse pour des gens fragilisés, qui vivent dans une grande précarité, et pour qui le départ, en dehors de son coût, est ressenti comme un danger supplémentaire. À tous ceux-là s'ajoutent les victimes de la crise qui rognent sur tout pour conserver cette bouffée d'oxygène mais qui sont asphyxiées par les hausses, des salaires trop bas...

Partir en vacances est un droit arraché de haute lutte en 1936. Une conquête sociale majeure qui, en 2011, n'est toujours pas partagée par tous : les assignés à résidence de l'été sont trop nombreux. Scandale dans le scandale : les enfants, avides de découvertes, dont le regard restera borné par les barres et les tours. Aucune chance pour eux de sortir du rôle, du personnage dans lesquels ils sont souvent enfermés, aucune chance d'être dans une reconnaissance sociale différente. Pas de mise à distance du quotidien, pas d'ouverture aux autres, pas de cette capacité d'adaptation, de ce rapport au monde aujourd'hui indispensables pour s'insérer et agir dans notre société mondialisée.

Ces gamins ne peuvent compter sur une quelconque mansuétude gouvernementale. L'Union nationale des associations de tourisme révélait récemment que la baisse de fréquentation des colonies de vacances coïncidait avec la baisse des aides des allocations familiales. Pas de pitié pour les pauvres. Partir en vacances est un événement constructeur, qui conforte l'identité positive, celle qui permet de se battre dans la vie. Une perspective effrayante pour certains ? Partir en vacances, c'est participer à une société. Là encore, le pouvoir préfère jouer l'exclusion.

(source l'Humanité)

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