> Presse —« C'est toi, mon salaud » |
Dimanche 10 Juillet 2011:
« C'est toi, mon salaud » Par Gérard Filoche, inspecteur du travail. L'homme d'une cinquantaine d'années était venu à l'inspection du travail pour se « renseigner » : « - Je suis ouvrier graveur sur métaux, rue Charlot, nous fabriquons surtout des médailles,cela fait vingt-huit ans que je suis dans cette boîte. Mais en ce moment, je ne sais ce qu'il a, le patron abuse, on fait de plus en plus d'heures et il ne nous les paie pas. -Vous êtes combien dans l'entreprise ? -Oh, on est 34 en tout avec la secrétaire et le comptable. -Vous avez des délégués ? -On n'a rien de tout ça, il s'est toujours arrangé pour qu'il n'y en ait pas. -Bon, vous voulez que j'aille faire un contrôle ? -Non, surtout pas, il va savoir que c'est moi qui vous ai demandé de venir, je me suis plaint, je suis le seul, les autres ne disent rien, alors ça va retomber sur moi. » Le même homme est revenu 3 mois plus tard. Ça ne s'arrangeait pas. Mais il avait toujours peur que je fasse une visite. Et puis 6 mois après. Il est revenu à la permanence de l'inspection, et il m'a dit : « - Allez-y, je ne supporte plus, ce n'est pas normal, on bosse trop, on se fait avoir. Mais attention, ne lui dites pas que c'est moi ! -Mais non, Monsieur, soyez rassuré, nous ne disons jamais rien à propos de salariés qui sont venus se plaindre, nous sommes tenus à un devoir de réserve. » Je vais faire ma visite dans l'entreprise de la rue Charlot. Je fais un contrôle complet, hygiène, sécurité, conditions de travail, horaires, institutions représentatives du personnel, je reste près de 3 heures dans l'entreprise. Bien sûr, je n'évoque pas une seconde que j'ai reçu une plainte. Quand je rentre au bureau, je suis appelé par l'ouvrier graveur : « - vous êtes passé dans l'entreprise ? -Oui, Monsieur, aujourd'hui même. -Vous lui avez dit que c'était moi qui étais venu me plaindre ? -Bien sûr que non, Monsieur, comme je vous l'avais dit, vous n'avez jamais été mentionné. -Mais quand vous êtes reparti, le patron s'est précipité vers moi et il m'a dit : "C'est toi, mon salaud, qui m'a envoyé l'inspecteur du travail ?" -Et alors ? -Mais qu'est-ce que vous voulez que je fasse, il m'a dit que c'était vous qui lui aviez dit. » Quelques semaines plus tard, l'ouvrier fut renvoyé pour une faute grave inconsistante. Il alla aux prud'hommes et gagna son procès 2 ans plus tard. Il fut indemnisé, mais ne retrouva pas de boulot à 55 ans. Personne ne moufta plus dans l'entreprise. Je suis favorable à un contrôle administratif de l'inspection du travail pouvant empêcher les licenciements abusifs. (source L'Humanité Dimanche)
|