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Dimanche 26 Juin 2011:

 

Éditorial

Dans le mur

Par Maurice Ulrich

Il ne faut pas s'attendre à une intervention des casques bleus de l'ONU au sommet européen qui s'ouvre aujourd'hui [NDLR, Jeudi] à Bruxelles. Mais le rapport annuel des Nations unies sur la situation sociale dans le monde, publié hier, met le doigt là où la crise fait le plus mal : « Les mesures d'austérité prises par certains pays comme la Grèce et l'Espagne face à un endettement public excessif menacent non seulement l'emploi dans les secteurs publics et les dépenses sociales, mais rendent la reprise plus incertaine et plus fragile. » Et le rapport en appelle à des mesures de relance pour renforcer la reprise de la production et préserver les investissements économiques et sociaux.

C'est le contraire qui est fait. La Grèce est maintenue à grand-peine sous perfusion par l'Europe, au prix de quelles discussions laborieuses, pour une seule raison. Qu'elle paie ses dettes, augmentées de taux d'intérêt grimpant en flèche à chaque toussotement des agences de notation. Il ne s'agit pas de sauver la Grèce mais de satisfaire les banques en écartant, tant que c'est possible, le risque d'un effet domino en Europe. Sauf que c'est prétendre éteindre un incendie avec du pétrole. Les remèdes imposés à la Grèce tuent la Grèce. Elle peut se vendre et s'ouvrir le ventre, elle n'en sera que plus pauvre, incapable de reprendre le chemin de la croissance.

La logique est la même pour les autres pays en difficulté de l'Europe.

Certains, par inconscience ou par cynisme, on ne sait trop, y voient des avantages. Ainsi pour Christophe Barbier, dans l'Express, nombre de pays ont su extraire de la crise « un suc revigorant pour leurs réformes ». Vive la crise qui permet de repousser l'âge du départ à la retraite, de sabrer dans les services publics, l'éducation, la santé, d'étendre la précarité, de geler ou de baisser les salaires... Pour le même éditorialiste, ainsi, ce qui menace l'Europe, ce n'est pas la crise, ce ne sont pas les marchés financiers, non, c'est le manque d'Europe ou plutôt d'une Europe forte, resserrée, obligeant entre autres la Grèce a « purger son incurie », à se sauver « malgré elle s'il le faut ». Au même moment, Nicolas Demorand dans Libération plaide pour une Europe fédérale. En somme, il suffirait, pour faire court, d'avoir une gouvernance européenne affirmée pour sortir de la crise. Mais n'est-ce pas ce que se propose le pacte euro plus, construit autour de la volonté de dicter aux États leurs politiques économiques en répondant aux attentes, pour ne pas dire aux exigences des marchés ? Un pouvoir fort pour des politiques imposées aux peuples. Ce serait cela, la voie d'une grande Europe ? Non, c'est celle d'un talon de fer.

Ceux qui prônent une sortie de l'euro sont tout aussi dangereux pour les peuples. Elle se traduirait aussitôt par une formidable dévaluation des monnaies nationales, une augmentation de la dette, et donc de brutales politiques d'austérité. Ces deux voies sont également condamnables, si ce n'est condamnées parce qu'elles emmènent dans le mur. Le chemin du cœur et de la raison, c'est celui d'une Europe de la coopération, impulsant, avec un nouveau rôle du crédit et de la Banque centrale, des politiques de développement économique, social, environnemental, résorbant les criantes inégalités entre les pays. C'est cette voie-là que les chefs d'État, réunis à Bruxelles, refusent, ce pourquoi ils sont dans l'impasse. C'est ce que les peuples doivent leur imposer.

(source l'Humanité du jeudi 23 juin)

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