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Jeudi 16 Juin 2011:

 

Éditorial

Une philosophie de l'école

Par Jean-Paul Piérot

Philosophez ! C'est par cette invite que débutent en France les épreuves du baccalauréat. Une bonne tradition en vérité, et à la fois une singularité nationale héritée de l'esprit des Lumières et de la Révolution. Quelque angoissantes que soient les minutes qui précèdent la distribution des sujets, il est à l'honneur des enseignants français de préparer ainsi les élèves à penser par eux-mêmes. Concevoir pour agir, considérer toute chose dans ses contradictions, refuser le prêt-à-penser : ce ne sont pas des suppléments d'âme dans un monde où prévaut la compétition marchande, mais des moyens de le transformer, de l'émanciper.

Cette conception n'est pas celle du pouvoir actuel, qui avec une rare obstination n'a eu de cesse depuis quatre ans de dévitaliser l'école en réduisant comme jamais auparavant le nombre des enseignants. Depuis que Nicolas Sarkozy est aux affaires, 52 000 enseignants ont disparu. Le non-emplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite se chiffre par la liquidation de 16 000 postes cette année. Cette hécatombe devrait être renouvelée avec la même ampleur l'an prochain, a laissé clairement entendre le ministre Luc Chatel. Nous sommes donc en présence d'un plan de démolition d'un pilier fondamental de la République, cent trente ans après l'instauration de la gratuité de l'école publique, laïque et obligatoire.

On sait Luc Chatel fâché avec l'arithmétique, mais comment peut-il à la fois reconnaître la pénurie inquiétante des enseignants à l'école primaire et continuer à justifier la saignée permanente opérée par son ministère dans les effectifs éducatifs ? Alors que 60 000 élèves supplémentaires sont attendus à la rentrée, 1500 classes seront supprimées. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour prévoir de nouvelles classes surchargées et, dans les zones rurales, des enfants fatigués par de longs trajets en car de ramassage scolaire. Le gouvernement a tellement taillé dans le personnel du système éducatif qu'il se voit dans l'obligation de parer aux conséquences trop voyantes de ses propres choix en embauchant, par le truchement de Pôle emploi, des enseignants vacataires. On l'aura compris, Luc Chatel met en oeuvre une politique de précarisation des enseignants, une gestion qui n'anticipe pas l'avenir, qui n'investit pas dans la formation du plus grand nombre. Le système scolaire devient plus inégalitaire que jamais. Alors que dans les quartiers populaires, où sévit un taux de chômage des jeunes deux fois plus élevé que dans d'autres concentrations urbaines, le pouvoir sarkozyste a supprimé la carte scolaire qui assurait jusque-là un minimum de mixité sociale en mêlant des enfants de conditions diverses.

Si les échéances électorales prochaines peuvent être l'occasion d'arrêter le massacre de l'école publique, la gauche doit dire aujourd'hui qu'elle ne se contentera pas de stopper l'hémorragie des suppressions de postes au niveau qui sera atteint en 2012, comme le prévoit François Hollande, mais assurer qu'elle reviendra sur les suppressions déjà opérées. Nicolas Sarkozy laissera derrière lui une école affaiblie, dégradée ; la gauche devra la remettre debout.

(source l'Humanité)

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