> Presse —Retraites : une loi qui compte sur votre décès |
Lundi 13 Juin 2011:
Retraites : une loi qui compte sur votre décès Par Jean-Christophe Le Duigou (1) Le caractère inégalitaire de la réforme des retraites avait été largement dénoncé. Les mesures d'application de la loi ne font que renforcer les injustices. Décret après décret, le gouvernement vide de son contenu, pourtant déjà bien mince, le volet pénibilité. Côté réparation, la loi prévoyait le maintien d'un départ en retraite à 60 ans à taux plein pour les salariés justifiant d'une incapacité de plus de 10 %. Un premier décret a ajouté une condition supplémentaire : les salariés dont le taux d'incapacité est compris entre 10 % et 20 % devront justifier de 17 ans, pas moins, d'exposition à au moins un facteur de pénibilité. Côté prévention, un nouveau projet de décret prévoit que seules les entreprises de plus de 50 salariés, dont au moins la moitié de l'effectif est employée à des taches pénibles, auront l'obligation de négocier un accord de prévention. Ces restrictions sont scandaleuses. Au point où l'on doit à nouveau s'interroger sur la logique cachée qui préside à la réforme des retraites. Deux études récentes soulignent les conséquences sur la santé des contraintes physiques au travail. Elles fournissent peut-être la réponse à cette question. Celle de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) montre que les conséquences du report de l'âge de la retraite dépendent de avant tout de la situation professionnelle du salarié, en particulier de ses conditions de travail : 7 ouvriers sur 10, l'écrasante majorité des travailleurs de l'industrie, du BTP et des salariés postés, son « inquiets des conséquences sur leur santé ». Une autre étude, produite par la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, confirme cette réalité. Lorsqu'on leur demande s'ils seront en mesure de faire le même travail à l'âge de 60 ans, plus de 4 travailleurs sur 10 répondent négativement. Cette moyenne est fonction de la place occupée dans l'entreprise. Pour la majorité des ouvriers les moins qualifiés, rester au travail jusqu'à 60 ans est inconcevable. Pour les ouvriers les plus qualifiés, la situation n'est guère meilleure : à peine la moitié d'entre eux estiment qu'ils seront en mesure de faire le même travail une fois le cap des 60 ans franchi. Ces données font émerger la question négligée de la santé dans les débats qui se déroulent partout en Europe sur le recul de l'âge de la retraite. La prolongation de la vie au travail n'a pas la même signification suivant la place occupée dans la hiérarchie sociale. Pour les catégories les plus modestes, de mauvaises conditions de travail accumulées tout au long de la vie déterminent la plupart du temps une impossibilité physique de rester au travail. Déjà, l'espérance de vie moyenne d'un ouvrier peu qualifié est de 7 ans inférieure à celle d'un cadre supérieur ! Dans les conditions actuelles, conserver son poste de travail au-delà de 50 ou 55 ans tout en protégeant sa santé est problématique pour un ouvrier de la construction, une travailleuse du nettoyage ou un salarié en poste dans un centre d'appels téléphoniques. Le patronat se gargarise quant à lui du thème de « l'adaptation des emplois en fin de carrière ». C'est un leurre. Il est clair, au vu de ces résultats, que d'éventuelles formules d'adaptation pour des travailleurs les plus âgés, compte tenu du cumul des atteintes à la santé tout au long de la vie au travail, feront l'effet d'un cautère sur une jambe de bois. Ces enquêtes montrent que l'impact à long terme du recul de l'âge de la retraite sur la santé peut être beaucoup plus préoccupant que son impact immédiat. Sans une amélioration importante des conditions de travail et sans un contrôle accru des travailleurs sur celles-ci, retarder l'âge de la retraite équivaut cyniquement à réduire la durée de perception des pensions pour celles et ceux qui ont déjà les revenus les plus bas. On peut en effet s'interroger, à l'instar du juriste Jean-Jacques Dupeyroux, « sur la probable réduction de l'espérance de vie des travailleurs et travailleuses concernés ». La réforme en cours d'application serait alors financée non par un prélèvement sur les profits, ni même principalement par une réduction de la durée de retraite de toutes les catégories, mais par une amputation du potentiel de vie des travailleurs modestes. Est-ce le sens caché de la réforme des retraites ? (1) Économiste et syndicaliste. (source L'Humanité Dimanche)
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