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Dimanche 12 Juin 2011:

 

Les forçats du baba

Par Gérard Filoche, inspecteur du Travail

Penser à eux lorsque, le dimanche, vous mangez leurs gâteaux. Éclairs au chocolat, babas au rhum, fraisiers, tartes au citron, mille-feuilles... Ce sont les ouvriers pâtissiers qui ont l'un des plus durs travaux de ce pays et les durées hebdomadaires les plus longues.

L'un de ceux, rares, qui étaient venus à l'inspection du travail, racontait très bien comment il avait été recruté par une boulangerie de la rue du Temple, sur petite annonce : « Recherche pâtissier expérimenté, semaine de 5 heures à 13 heures, fermeture hebdomadaire le mercredi et vous avez un mardi sur deux, CDD pouvant déboucher sur un CDI, salaire en fonction des compétences, base 1366 euros brut pour 35 heures, pâtisserie classique à développer, personne diplômée, autonome, sérieuse, sachant travailler seule ou avec un apprenti. », Ça, c'était l'affichage ! La vérité, c'est qu'il commençait à 3 heures du matin, surtout les week-ends, qu'il n'y avait pas d'apprenti, et que, seul, il devait fournir toute la pâtisserie pour une boutique très fréquentée, et il devait entretenir les locaux, nettoyer, ranger tout le matériel, ne finissant jamais avant 14 heures. Soit 60 heures par semaine au minimum, sans qu'aucune heure supplémentaire ne soit prise en compte. Il venait se renseigner.

« Ai-je droit à mes heures supplémentaires ?

- Bah, évidemment, Monsieur, si vous faites 60 heures par semaine, il y a abus, votre durée maximale de travail doit être de 48 heures. Il y a un contingent annuel, et toutes les heures doivent être majorées, à 25, 50, ou 100 %. Depuis combien de temps faites-vous cela pour votre patron ?

Déjà cinq ans, je me suis dit... »

En fait, il n'en pouvait plus... Épuisé. Sa famille, il ne la voyait pas, il dormait pour rattraper , rongé par la fatigue. Il n'était pas un cas isolé, c'est une situation fréquente chez les ouvriers pâtissiers boulangers. Je proposais d'aller faire un contrôle. Il ne voulut pas.

« Non, ne faites pas cela, vous savez, je suis tout seul avec le patron, la patronne en haut, il y a la petite vendeuse, une apprentie qui change tout le temps car ils les maltraitent. Si vous venez, le patron, il va savoir que c'est moi... »

En fait, il se renseignait, mais ne voulait rien faire. Il m'expliqua que lorsqu'il en aurait trop marre, il irait ailleurs. Il y avait du boulot dans sa branche. 1366 euros pour 245 heures par mois, ça faisait 5,5 euros brut de l'heure. Pas étonnant qu'on ait une si forte productivité horaire en France.

« Mais si vous allez ailleurs, vous vous retrouverez dans la même situation, ce sera un autre patron, mais vous serez exploité pareil...

- Oui. Mais si je me plains, si en plus quand je rentre, les patrons me tirent la gueule, alors ce n'est pas possible, se faire faire la tronche tous les jours en plus parce que j'ai porté plainte, non, ça, je ne peux pas, je préfère que vous n'y alliez pas, je vais demander une augmentation, sinon je préfère m'en aller, merci Monsieur l'inspecteur. » Il demanda une augmentation, il ne l'eut pas, il s'en alla ailleurs.

(source L'Humanité Dimanche)

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