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Samedi 28 Mai 2011:

 

Faut-il croire au « Printemps européen » ?

Société : les « indignés » espagnols font des émules à Rouen et au Havre avec deux manifestations.

Sociologue, maître de conférences à l'université du Havre, la chercheuse franco-espagnole Sandra Gaviria est une spécialiste de la jeunesse des deux côtés des Pyrénées. Elle décrypte le mouvement des « indignados ».

 

Comment analysez-vous ce qui se passe en Espagne depuis le 15 mai ?

« C'est l'expression d'un ras-le-bol généralisé de la jeunesse. En Espagne, 45 % des moins de 25 ans sont au chômage. Diplômés, formés, ils sont contraints de faire des petits boulots, de travailler au noir. Ces jeunes parfois surnommés les « milloristes » (NDLR : pour 1000€ par mois) sont au cœur du mouvement ».

La dureté de la crise en Espagne a-t-elle précipité leur action ?

« Évidemment. Depuis trois ans, la situation des familles s'est considérablement dégradée. Les Espagnols, souvent propriétaires de leur logement, croulent sous les hypothèques et les générations plus âgées sont également frappées par la précarité. La solidarité familiale souffre elle aussi. Auparavant, les jeunes demeuraient tardivement chez leurs parents et ressentaient un peu moins durement les difficultés ».

Le mouvement des indignés, est-ce vraiment transgénérationnel ?

« Oui. Tout a commencé à la mi-mai, avant les élections locales en Espagne. C'est vrai que depuis le vote (NDLR : les socialistes du Premier ministre Zapatero ont essuyé un revers historique aux élections locales du 22 mai), on voit moins de quadras et de seniors mais il ne faut pas en conclure qu'ils se désintéressent de la cause ».

La cause, est-ce toujours de repousser toute récupération politique ?

« C'est le ciment du mouvement. Les indignés adressent un avertissement aux partis traditionnels. Que disent-ils ? On a vu la corruption, on a vu les limites du bipartisme et aujourd'hui, on aspire à une démocratie très forte ».

Une démocratie sans parti politique, y croyez-vous ?

« Ce qui est sûr, c'est que ce modèle n'a pas encore été inventé en occident. On le voit bien dans le fonctionnement des indignés. Ils changent de porte-parole tous les jours. Le fait qu'ils n'aient pas de leader, c'est précisément l'une de leurs limites ».

Le mouvement peut-il se propager à la France ?

« La mobilisation à Madrid et à Barcelone rencontre un certain écho notamment en Grèce mais cela demeure limité. Depuis le début de cette mobilisation en Espagne, j'ai du mal à croire à l'émergence d'un « Printemps européen » comme nous avons vu naître un « Printemps arabe ».

Vous connaissez bien la jeunesse française. Pourquoi bouge-t-elle peu ?

« Les jeunes Français ne sont pas épargnés par la difficulté d'accéder au marché du travail. Ils craignent aussi pour leur avenir mais ici, il y a l'État providence : les aides au logement, le revenu de solidarité et le concept d'un « salaire jeune » revient régulièrement ».

Comment voyez-vous la suite pour les indignés d'Espagne ?

« Le mot impasse correspond bien à la situation. Ils dénoncent le bipartisme, la corruption, prônent la séparation des pouvoirs et réclament un mécanisme de contrôle citoyen du monde politique mais ce qu'ils veulent plus que tout, c'est travailler, s'intégrer, rentrer dans le moule. On peut aussi se demander s'ils ne paient pas leur pacifisme. Le calme, c'est toujours moins dérangeant pour le pouvoir ».

Propos recueillis par Christophe Preteux


Barcelone : 43 blessés lors du démontage du campement

Des incidents ont éclaté hier en Espagne, à Barcelone, entre policiers et jeunes « indignés », lorsque les services municipaux ont démonté le campement de la place de Catalogne en prévision des festivités de la Ligue des Champions. Les policiers sont intervenus pour disperser un groupe qui bloquait l'entrée de la place au moment où les camions de nettoyage emportaient les tentes et le matériel installés depuis dix jours.

Comme la Puerta del Sol à Madrid, où les manifestants ont installé un village alternatif, et de nombreuses autres places en Espagne, la Place de Catalogne était occupée depuis dix jours par le mouvement des « indignés ». Relayé par les réseaux sociaux, le mouvement de jeunes, rejoint par des citoyens de tous horizons, s'est développé autour de revendications multiples, concernant tant le chômage que la « corruption » des hommes politiques ou la loi électorale favorisant les grands partis.

Hier, la municipalité de Barcelone, la deuxième ville d'Espagne, a décidé de nettoyer le campement afin d'assurer la sécurité en vue des célébrations samedi soir, en cas de victoire du FC Barcelone en finale de la Ligue des champions contre Manchester United à Londres. Pendant que les camions des services de nettoyage emportaient le matériel, des policiers casqués ont fait usage de matraques et de balles en caoutchouc pour disperser quelques dizaines de manifestants qui bloquaient une des entrées de la place. « 43 personnes ont été légèrement blessées, dont un policier. Cinq ont été hospitalisés surtout pour des contusions multiples », a déclaré une porte-parole du service des urgences médicales.

Les agents de nettoyage ont ensuite fini de démonter le campement, sous la surveillance de deux cordons de policiers. Une fois l'opération terminée, environ 2000 manifestants ont de nouveau envahi la place, aux cris de « No la violencia ! » (« Non à la violence » !) ou « El pueblo unido jamas sera vencido ! » (« Le peuple uni ne sera jamais vaincu ! »).


Christina manifestera à Rouen

« On veut changer de système »

Étudiant à Mont-Saint-Aignan d'origine espagnole, et donc particulièrement sensible à ce qui se passe au-delà de la frontière, Christina participera au rassemblement prévu cet après-midi à 17 h devant l'Hôtel de ville de Rouen. Un autre est prévu au Havre à 15 h devant la sous-préfecture.

« Mercredi, nous étions une vingtaine. J'espère que nous serons cette fois plus nombreux », témoigne-t-elle. Ni porte-parole, ni responsable d'un mouvement qui se veut hors de tout parti politique, de toute organisation syndicale, et en réfute les modes de fonctionnement, Christina insiste sur la volonté des manifestants de trouver à cette occasion, avec les passants, « de nouveaux espaces de dialogue, toutes générations confondues ». « Ce mouvement est issu de la jeunesse, mais nos manifestes s'adressent à tous. C'est pourquoi, même si la mobilisation passe par l'Internet et les réseaux sociaux, nous avons fait imprimer 2500 tracts qui nous permettront d'aller au-delà de la plateforme Facebook et de toucher aussi les personnes non connectées », dit-elle. L'objectif est de délivrer la parole et de faire en sorte que, même si le mouvement ne peut aujourd'hui pas présenter de programme politique, il commence à en élaborer un à partir des idées qui auront été émises.

« Chaque groupe créé son manifeste, en s'inspirant du modèle espagnol. Mais ce n'est qu'un point de départ », précise Christina. C'est d'abord « le refus de la dictature de l'argent ». C'est aussi « une réponse à la crise économique et financière que l'on fait payer à la jeunesse alors qu'elle n'y est pour rien », ajoute-t-elle. C'est enfin « un mouvement qui s'appuie sur l'humain ».

« Ce que nous voulons, c'est changer de système, obtenir une démocratie réelle dans cette société qui manque aujourd'hui tant de respect à la voix populaire », conclut la jeune femme. Qui se dit confiante dans la mobilisation en faveur d'un rassemblement excluant toute forme d'agressivité ou de violence.

F; B.

(source le havre libre)

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