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Mercredi 20 Avril 2011:

 

Éditorial

Variations sur la prime

Par Jean-Paul Piérot

De l'escapade ardennaise du président de la République, le monde du travail peut tirer un enseignement utile : il y a toutes les raisons pour les travailleurs et leurs organisations syndicales d'engager le combat pour des augmentations de salaires. Nicolas Sarkozy reconnaît aujourd'hui que la situation des entreprises s'est globalement améliorée et va même jusqu'à suggérer que, sur les 86 milliards versés aux actionnaires, une partie pourrait être attribuée aux salariés. Ce langage est apparemment en rupture avec le discours alarmiste entretenu jusqu'à présent pour tenter de justifier l'austérité.

Nicolas Sarkozy fait feu de tout bois. Il y a péril au château, les clignotants restent bloqués au rouge, le cours présidentiel est au plus bas et l'on note dans la Cour murmures et défections. Cela impose quelques ajustements dans la communication. Le président des riches, le fondé de pouvoir du Medef, tente donc de modifier son image. Mr Hyde enfile la redingote du Dr Jekyll. Et voudrait tant rejouer à l'opinion publique le bon tour qui a si bien fonctionné en 2007.

Le pari est osé. Toute la politique qu'il a menée depuis les premières heures qui suivirent son élection, fêtée au Fouquet's, souligne la gravité de l'imposture. Le discours qu'il prononça à Charleville en décembre 2006 est un monument dans l'histoire de la démagogie et il est difficile d'imaginer que les salariés appauvris et précarisés des Ardennes comme des autres régions françaises aient perdu la mémoire au point d'oublier qu'ils ont été bernés par celui-là même qui est venu hier agiter le hochet de la prime.

Cette fameuse prime, annoncée dans un premier temps d'une valeur de 1000 euros, serait obligatoirement versée aux salariés des entreprises qui accordent des dividendes aux actionnaires. Puis on n'évoqua plus le montant, et Christine Lagarde démentit son caractère obligatoire. Enfin, Nicolas Sarkozy a précisé hier que n'étaient concernées que les entreprises ayant versé des dividendes « en forte progression ». Si cadeaux il y a, ce sera donc pour les entreprises, qui se verront exonérées de cotisations pour les primes que les patrons voudront bien octroyer à leurs salariés. Nicolas Sarkozy lui-même a donné ces précisions lors de sa visite à La Fonte ardennaise, vidée de ses salariés. Ainsi s'achève une piètre mystification.

Le pouvoir cherchait un effet d'agitation médiatique. Celui-ci a fonctionné brièvement. Nous eûmes même droit à une fausse controverse avec Laurence Parisot, qui vint dans les studios de France Inter affirmer avec un aplomb déconcertant que la répartition des richesses était « juste » dans notre pays. Beaucoup de bruit pour rien au moment où le gouvernement annonçait beaucoup plus sérieusement une nouvelle année de salaires gelés pour des millions de travailleurs de la fonction publique. Le monde du travail retirera de cette variation sur la prime qu'une plus juste répartition des richesses passe par des augmentations de salaires. Cela vaut la peine de lutter.

(source l'Humanité)

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