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Mardi 1er Mars 2011:

Éditorial

Claques et claquettes

D'un extrême à l'autre, voilà à peine plus de quinze jours, le chef de l'État squattait plusieurs heures durant une chaîne de télévision généreusement offerte pour un plaidoyer pro domo, qui laissa sur leur faim plus d'un des Français invités, sans parler de ceux qui déclinèrent son invitation à déjeuner au Palais. « Nous vivons sur la même planète mais nous ne sommes décidément pas du même monde » et ne partageons pas les mêmes valeurs... Le message intérieur, qui sourd de la colère profonde du pays, bouscule la majorité à la veille d'un scrutin cantonal où nombre de candidats UMP préfèrent gommer cette étiquette pour se présenter aux électeurs, en priant pour une abstention massive. Il aura suffi de quelques minutes hier soir pour tenter de répondre au message similaires qu'envoie à sa vision extérieure le printemps précoce des peuples qui, de la Tunisie à l'Égypte et à la Libye, prennent en main leur destin.

Le sacrifice d'une dame n'efface nullement l'échec d'une politique étrangère de la France décidée au plus haut niveau, dont la seule ambition est de se contenter du rôle de supplétif du gendarme du monde, et, au G20, de meilleur avocat du monde des affaires. Mêmes causes, mêmes effets ? La lame de fond populaire contre les retraites alliée à l'affaire Woerth-Bettencourt a obligé un président se voulant « chef du temps » à un premier remaniement. Une saison n'aura pas passé qu'un second advient déjà. Des cigares de l'un aux vacances des autres, en passant par les émoluments d'une quatrième, la confusion entre intérêt personnel et service de l'État devient une marque de fabrique bien encombrante pour celui qui a lancé sa campagne électorale. Quand on rapporte les moeurs des vassaux à la violence des décisions prises chaque jour qui n'a d'égal que le mépris pour les serviteurs de la chose publique que sont les fonctionnaires – qu'ils soient enseignants, juges, éducateurs ou diplomates -, la France sort de plus en plus abaissée, à l'intérieur comme à l'extérieur, par la matraque néolibérale que lui assène sans répit Nicolas Sarkozy.

Celui qui, à la veille de son élection, allait prêter allégeance à un George Bush, avant que ce dernier ne soit battu, est pris à revers par les peuples en mouvement. Le « choc des civilisations » présentait l'avantage pour ses initiateurs de nourrir la pire réaction tant en Occident, que dans les pays aux despotes fréquentables jusqu'à il y a peu alimentant désespoir et extrémisme. Dans les deux cas, peu importe : les affaires marchent bien. Des hommes et des femmes terrassant la peur, réclamant leurs droits, sociaux et politiques, voilà bien ce qui a tétanisé le pouvoir. Et puisque, depuis très peu, un Kadhafi est le pire dictateur du jour, à quand une déclaration ferme sur l'Arabie saoudite ? Hier, une centaine d'intellectuels de ce royaume archaïque ont lancé une pétition réclamant un régime constitutionnel, des élections libres,

« l'adoption de mesures permettant d'accorder aux femmes le droit au travail, à l'éducation, à la propriété et à la participation de la vie publique » et la fin des discriminations pour la minorité chiite du pays.

En cherchant à importer en France même cette vision manichéenne du monde, le chef de l'État a rouvert une boîte de Pandore extrêmement dangereuse pour le pays. L'expert en division des Français entre eux pour mieux régner a relancé le racolage du côté brun du spectre électoral. Il croyait pouvoir ratisser large de ce côté-là, tandis qu'il envoyait en mission sur les terres du centre droit un Jean-Louis Borloo, fort discret lui aussi ces jours-ci. La crise sociale donne des ailes au FN et, là encore, le cours du monde oblige à stopper net son opération nauséeuse sur « l'islam en France ». Décidément, la France et son peuple méritent mieux.

(source l'Humanité du lundi 28 février)

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