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Dimanche 5 Septembre 2010:

Les jeunes, le 7 septembre et les valeurs de solidarité.

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

Les jeunes seront sans doute nombreux dans les manifestations de mardi prochain. Ils seront là avec des revendications, mais aussi des interrogations auxquelles il faut répondre. Un doute s'est installé sur la pérennité de notre système de retraite : les jeunes générations estiment qu'elles ont peu de chance de toucher, dans 40 ans, une retraite convenable. Les campagnes alarmistes y sont pour quelque chose. Les dénoncer est une nécessité, mais ne répondra pas à toutes les interrogations d'une jeunesse qui a le sentiment de vivre plus mal que la génération précédente.

Parler de retraites, c'est forcément parler de l'emploi, du salaire, du travail, de la famille, mais aussi du sens de la vie. Nous héritons en effet, en France, d'un système par répartition, fondé sur le travail et non sur l'épargne. Il est remarquable à beaucoup de points de vue. Il a encore montré son efficacité dans la crise. Mais il est ébranlé. Certains vantent alors le nécessaire retour à une approche assurantielle et à la capitalisation, justement abandonnée en 1945. Ce serait un recul considérable au regard de ce que représente la Sécurité sociale.

La solidarité d'un système par répartition tient dans la garantie que se transmettent les générations successives. Ce lien est précieux et complexe. Nous ne sommes pas, en effet, dans une logique de contrat entre deux générations qui se font face et qui exigent chacune leur dû, c'est-à-dire le retour sous forme de prestations des cotisations qu'elles ont versées. L'équité intergénérationnelle est le produit d'une construction et d'un échange bien plus complexe dans lequel entre la retraite, mais aussi l'éducation, les équipements collectifs, le stock de capital productif et beaucoup de biens publics transmis au fil des générations. En répartition, chaque génération reçoit de la suivante et à une dette sociale à l'égard de la précédente.

En 1945, on est sorti des logiques du contrat et de l'assurance, au profit d'une réforme politique d'obligation integénérationelle, curieusement symétrique de la « dette de vie » explicitée par les anthropologues. Chaque génération qui a reçu la vie de la génération précédente doit la donner à son tour à la génération suivante et en la donnant rendre ce qui lui a été donné. Dans un système de retraite par répartition, ceux qui ont donné à la génération précédente doivent recevoir de la génération suivante, qui leur rend ainsi ce qu'ils ont donné. Si un doute s'installe sur la solidité de cette chaîne, les jeunes actifs vont déserter le système, récuser leur dette, au profit de solutions individuelles ou corporatives. La partie commune et la solidarité du système de retraite va se restreindre d'autant.

S'il est légitime de se projeter loin dans l'avenir, il faut le faire non pour établir des prévisions hasardeuses, pour fixer des chiffres douteux, mais pour éclairer les scénarios sociaux possibles. Se référer au passé est indispensable mais ne suffit pas. Les réformes keynésiennes, appliquées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont été efficaces dans un contexte particulier. Après l'ébranlement dû à la guerre, le pacte intergénérationnel de la Libération a été relativement facile à mettre en place. Outre qu'il a bénéficié d'une exceptionnelle période de croissance, il ne concernait en fait que deux générations : celle qui avait 20 ans en 1945 et qui a commencé à prendre sa retraite en 1985, et la génération suivante qui est encore active pour 5 à 10 ans. La génération précédant celle de 1945 à bénéficié de retraites – faibles, il est vrai – mais sans avoir cotisé au nouveau système.

Le problème du financement ne peut se traiter aussi simplement qu'au lendemain de la guerre. Il faut bien sûr dégager des ressources nouvelles. Mais cet effort doit s'accompagner de la construction d'une solidarité vivante s'allongeant sur une période de près d'un siècle. Une troisième génération de travailleurs, qui s'est heurtée à beaucoup d'obstacles pour s'intégrer au marché du travail, est en effet entrée dans le système dans les années 1970. Une quatrième génération y participera avant que la première n'ait massivement disparu. Notre tâche, face aux tenants de la logique financière, est donc de construire ce nouveau pacte social entre ces quatre générations.

Tel est le défi majeur aujourd'hui posé à notre système de retraite, défi dont s'est saisi le mouvement revendicatif.

(1)Économiste et syndicaliste.

(source l'Humanité Dimanche)

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