> Presse  —>  Éditorial...

Lundi 1 Mars 2010:

Éditorial

La légende du joueur de flûte

Par Jean-Paul Piérot

Reportons-nous un instant un an auparavant. La France était alors déjà en campagne électorale, pour renouveler le Parlement européen. Une campagne, on s'en souvient, bien terne du côté des deux grands courants qui cogèrent les institutions de l'Union européenne. Peu ou pas de débats contradictoires, une volonté manifeste dominait le monde médiatique et la majorité des forces politiques ; ne rien entreprendre qui fût susceptible d'éveiller dans l'opinion une envie de discuter des enjeux de la politique européenne, de réveiller la contestation du dogme de la concurrence libre et non faussée qui avait conduit au rejet de la Constitution européenne lors du référendum du 29 mai 2005.

Dans ce qui ressemblait à un complot du silence, le Front de gauche, qui affrontait sa première épreuve électorale, s'acharna à parler de ce qui fâche : des méfaits du libéralisme, du refus du dumping social, de la dangereuse indépendance de la BCE vis-à-vis des institutions politiques et de sa dépendance vis-à-vis des marchés financiers. À continuer la critique de fond du traité de Lisbonne, copie du TCE, présenté comme le sésame qui devait mettre fin aux « blocages » et à la « crise institutionnelle ».

Une fois de plus, les citoyens qui ont cru au doux chant des sirènes qui les parlent d'Europe, pour ne pas employé le mot libéralisme, se sont retrouvés comme les enfants de la ville d'Hamelin, dans le conte de Grimm, qui allèrent à leur perte en suivant le joueur de flûte.

La crise, c'est aujourd'hui qu'elle éclate, la plus grave, s'alarme la chancelière Angela Markel, que l'euro ait jamais traversée en dix ans d'union monétaire. Le peuple grec est mis sous tutelle, ce qui fait pour le moins désordre dans un pays où fut inventé le mot démocratie. Et que dire des belles paroles de solidarité entre les peuples du continent, quand on découvre les propos du chef de file de la CSU au Parlement européen, Markus Ferber, dans une interview au Handelsblatt ; « La Grèce est un puits sans fond, ce serait une grosse erreur que d'y déverser de l'argent. » Contrairement à la communication sarkozienne, Angela Merkel a démenti qu'il y ait un plan d'aide financière à Athènes. Ce sont donc bien les salariés, les retraités, à qui les dirigeants européens se préparent à présenter la lourde addition de leurs propres errements. Salaires, protection sociale, services publics vont être passés au laminoir du FMI.

Nous sommes tous des travailleurs grecs ! Pour une fois, cette phrase souvent dévoyée prend aujourd'hui tout son sens, car ce que les libéraux veulent faire subir au peuple grec est peu ou prou le sort commun promis aux peuples européens. Comment ne pas être frappé par les convergences de situations des deux côtés des Pyrénées, par la même conception du progrès de civilisation qui consiste à faire travailler les salariés plus longtemps, soixante-sept ans !, alors que 25 % des jeunes sont privés d'emploi ? Les élections régionales en France ont mis en sourdine les projets du gouvernement. Lesquels, à coup sûr, rejailliront après le scrutin. Mais beaucoup dépendra du message des électeurs. C'est dire si les régions peuvent devenir des pôles de résistance. Nous n'avons pas la mémoire courte, ce n'est pas faire injure à l'opposition que de rappeler que les promoteurs du Front de gauche ne s'étaient guère trompés en 2009. Cela leur donne un certain crédit en 2010.

(source l'Humanité)

 

haut de page