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Samedi 23 Mars 2010:

Salaires, prix et profits

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

Les négociations salariales annuelles se sont ouvertes dans les entreprises. L'issue de ces discussions s'annonce difficile au vu des propositions que les patrons mettent sur la table : 1 %, 1,5 % d'augmentations générales, au mieux, c'est-à-dire moins que l'inflation et bien en deçà des gains de productivité. L'inquiétude est grande chez les salariés : 6 salariés sur 10 interrogés récemment par l'institut de sondage BVA redoutent une stagnation de leur rémunération ; cette proportion passe à 3 sur 4 pour les salariés gagnant moins de 1 500 euros par mois. Comme s'il y avait une fatalité des bas salaires, appelant de nouveaux sacrifices pour les plus modestes !

Le problème n'est-il pas justement là, dans cette spirale née de l'accroissement des inégalités et de la stagnation du pouvoir d'achat de ceux qui ont les plus faibles revenus ?

L'origine de la régression ne date pas d'hier. Depuis 1984, la France s'est engagée dans une stratégie de recherche de la compétitivité fondée sur la compression des coûts salariaux. Ce choix avait été présenté à l'époque comme « une parenthèse », le temps de rétablir l'équilibre du commerce extérieur et des budgets publics. Il s'est transformé en une stratégie, pire, une obsession, qui a fait des ravages depuis 25 ans.

La France est devenue un pays à bas salaires. Ce qui est en cause, ce n'est pas tant le revenu moyen que le fait que plus de 8 millions de salariés, soit 4 sur 10, ont une rémunération inférieure à 1,33 SMIC. La hiérarchie des salaires a disparu pour les emplois d'ouvriers et d'employés. La qualification, la formation, les contraintes sont de plus en plus mal rémunérées. Alors qu'à l'autre bout du spectre, les rémunérations des dirigeants explosent. Les détenteurs du capital se frottent les mains. Les dividendes augmentent.

Mais il n'y a pas que les actionnaires qui poussent en ce sens. Les gouvernements successifs sont aussi responsables de cette stagnation et de cet écrasement des salaires. La politique d'exonérations de cotisations sociales, amorcée en 1993, pour les emplois dits « peu qualifiés » a des effets éminemment pervers. La ristourne accordée aux entreprises diminue en effet si le niveau du salaire augmente par rapport au SMIC. C'est une incitation à conserver des bas salaires. Pas étonnant que les principaux bénéficiaires soient les entreprises de l'hôtellerie, de la restauration, de la grande distribution, secteurs qui sont réputés pour leur générosité salariale ! Il s'agit tout de même de 22 milliards d'euros qui, annuellement sont généreusement octroyés par l'État aux entreprises qui ont des bas salaires... et surtout qui les conservent.

Mais peut-on faire autrement, compte tenu de la mondialisation ? Évidemment oui. C'est même indispensable même si cela n'est pas facile.

Il y a d'abord d'autres coûts à réduire que ceux du travail. Par exemple ceux du capital. Donc le coût du crédit et le bénéfice des banques. Faut-il aussi admettre, pour les actionnaires, des rendements à 2 chiffres qui parfois dépassent 20 % la contrepartie de cette rentabilité financière ne peut être que l'amputation des moyens humains et matériels de production.

En second lieu, il y a des sources d'efficacité autres que la compétitivité par les coûts : la qualité des produits, les services associés, l'adaptation aux besoins, l'image, la marque... Ce sont ces atouts que l'Allemagne à développés pendant des décennies qui lui permettent d'avoir aujourd'hui une production industrielle double de celle de la France. Reste que notre voisin d'outre-Rhin s'engage à son tour dans la recherche des économies sur la main-d'œuvre. Il n'est pas sûr que ce sot la stratégie gagnante à long terme. Toyota en fait l'expérience avec les malfaçons qui se multiplient.

Enfin, il y a un problème de politique économique en Europe. Les décisions de limiter les hausses de salaire, voire de les réduire, sont nombreuses en Irlande, aux Pays-Bas, en Allemagne... Si tous les pays de la zone euro compriment les salaires, que deviennent les débouchés ? La croissance intérieure risque d'être durablement faible et l'Europe sera entraînée dans une spirale de stagnation de l'emploi et des salaires, alors que l'économie mondiale redémarrera. Les salaires sont peut-être un coût pour chaque entreprise, ils sont en tout cas le principal débouché pour toutes les autres. Voilà ce que recouvre la difficile bataille sur les salaires qui est désormais engagée à l'échelon de l'Europe.

(1) Économiste et syndicaliste.

(source l'Humanité dimanche)


 

 

 

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