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Dimanche 19 Septembre 2010:
Politique. L'Assemblée a vécu une semaine historique avec le vote houleux du projet sur les retraites. Décryptage aux côtés de députés haut-normands. Il devait forcément se passer quelque chose ce jour-là à l'Assemblée Nationale ; de là à imaginer que ce mercredi 15 septembre, Jour du vote sur la réforme des retraites, marquerait jamais les esprits républicains... « Historique », répétait dans les couloirs du Palais Bourbon le députée-maire socialiste de Rouen Valérie Fourneyron. « C'est très grave de demander la démission du président de l'Assemblée nationale. » Les députés eux-mêmes ont été graves : on retiendra de cette journée les injures, la mauvaise foi des orateurs, et surtout cette scène grand-guignolesque filmée par toutes les caméras de télévision : Bernard Accoyer, le président de l'Assemblée, coursé jusque dans son bureau par une horde d'élus de la gauche. Il faut dire que tout le monde était un petit peu énervé mercredi matin, au terme d'une nuit blanche consacrée à l'examen des ultimes articles du projet de loi.
« Moi je ne lis pas Le Capital ! »
Avec des petits yeux, le député communiste havrais Daniel Paul nous reçoit en fin de matinée dans son bureau du 101, rue de l'Université, l'annexe de l'Assemblée. Il raconte comment Bernard Accoyer a mis le feu aux poudres en privant de parole 142 députés de la gauche pour une explication individuelle de leur vote. Dans le camp d'en face, Alfred Trassy-Paillogues, député UMP de Seine-Maritime, balance : « C'était clairement une stratégie d'obstruction. Ils s'en vantaient même dans les couloirs ! » L'opposition, drapée dans l'indignation de se voir confisquer le débat, n'avouerait jamais avoir joué la montre, voire la provoc pour retarder le vote. Daniel Paul s'offusque : « Christine Boutin, lors du vote sur le Pacs, lisait la Bible dans l'hémicycle. Je ne lis pas Le Capital en séance, moi ! » Sur ce, l'élu part à la manifestation des syndicats, organisée le midi entre le Quai d'Orsay et la place de la Concorde. De retour dans l'hémicycle à 15 h pour le vote solennel, les députés de gauche portent leur écharpe tricolore pour dénoncer le « déni de démocratie » de la matinée. Dans un climat délétère, le texte est adopté à une majorité écrasante. À la sortie, dans la salle des Quatre colonnes, on cherche partout nos députés haut-normands de droite. Les socialistes, eux, ne décolèrent pas. Le « putsch » du matin, « ce n'est pas un caprice d'Accoyer. Il a agi sur un ordre de l'Élysée ! », s'emporte une Sandrine Hurel outrée. Quoi qu'il en soit, « rien n'est figé, estime Alfred Trassy-Paillogues , néanmoins convaincu « que le passage de l'âge légal de départ de 60 ans à 62 ans et de 65 à 67 pour une retraite à taux plein me paraît inéluctable. » N'empêche, l'UMP Françoise Guéguot concède que le dossier n'est pas super-facile à vendre sur le terrain, dans sa circonscription de Seine-Maritime. « Travailler plus pour rien de plus, on peut comprendre que les gens n'en aient pas forcément envie. »
« La réforme, elle est pliée »
Alors les socialistes promettent, s'ils reviennent aux affaires en 2012, d'abroger la réforme phare du quinquennat de Nicolas Sarkozy. En 1982, François Loncle, député PS de l'Eure, à voté la retraite à 60 ans : « On ne le dit pas, mais on y pense : tout ce qu'ont fait, c'est dans l'optique de la présidentielle. Pour gagner 2012, il faut être mobilisés sur les retraites. » D'ici là, Valérie Fourneyron ne se fait pas d'illusion : « la réforme, elle est pliée. » Il est 17 h et sur la façade du Palais-Bourbon, annonçant les journées du patrimoine, une affiche semble donner la leçon. « Quand les hommes et les femmes construisent l'histoire ». Dans la douleur et la caricature Sandrine Grosjean La rue aura-t-elle voix au chapitre ? La manifestation du 23 septembre peut-elle influer sur le cours des événements avant l'ouverture des débats au Sénat, le 3 octobre ? Jean-Paul Lecoq, le député-maire (PC) de Gonfreville-l'Orcher, a le sentiment d'un exécutif « inflexible », mais croit un recul possible : « Selon les sondages, 70 % des Français sont contre cette réforme. Ce serait irresponsable que le gouvernement ne réagisse pas au mécontentement du peuple. Le financement de la réforme pèse à 95 % sur les salariés. On peut encore gagner là-dessus. » Alfred Trassy-Paillogues (UMP), s'attend lui aussi à une manifestation suivie : « Ça me paraît évident. Mais si on n'était pas capable d'assurer la retraite des Français, la mobilisation serait vingt fois supérieure », balaie le maire d'Yerville. Daniel Paul (PC) reste optimiste parce que « l'unité syndicale se poursuit et c'est un bijou. » Tout en reconnaissant la montée en puissance de la mobilisation, le socialiste François Loncle est plus dubitatif : « je n'ai pas le sentiment que la CGT souhaite aller très loin dans ce conflit. Or, sans la détermination absolue du principal syndicat de France, notre offensive d'élus ne suffira pas. J'espère me tromper. » Il est au moins sûr de s'être fait des copains à la CGT. (Havre dimanche)
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