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Samedi 16 Octobre 2010:
Éditorial La force du nombre et des idées Par Jean-Paul Piérot À l'heure où le conflit qui oppose Nicolas Sarkozy à la majorité du peuple français prend une tournure plus aiguë, il apparaît qu'un long chemin a été parcouru depuis que le gouvernement a détaillé son plan de report de deux ans de l'âge de la retraite. En quelques mois, les assauts de propagande présentant l'abolition de la retraite à 60 ans comme une conséquence incontournable de l'augmentation de l'espérance de vie se sont finalement brisés sur la lucidité de l'opinion publique. Dès le début de l'entreprise de manipulation, les porte-parole de l'UMP et les ministres avaient tenté de « dépolitiser » faussement l'enjeu de cette contre-réforme, et allaient jusqu'à prétendre vouloir sauver le système par solidarité. Il leur fallait à tout prix dissimuler, sous la tenue de camouflage du « pragmatisme », une offensive de régression de portée civilisationnelle. Le système de retraite fondé sur la solidarité entre les générations exprime une manière de vivre ensemble à l'opposé du règne de chacun pour soi, où les plus riches vivent à l'abri de leur bouclier fiscal et où la masse des salariés devraient travailler plus longtemps pour ne pas voir leur pension diminuer et eux-mêmes plonger dans les basses eaux de la pauvreté. Tout avait été pensé pour faire l'impasse sur un vrai débat : discussion parlementaire en procédure d'urgence débutant au cœur de l'été, odieuse diversion dont furent victimes les quelques milliers de Roms installés dans notre pays. Rien n'y fit. La droite se voit infliger une défaite idéologique sur le dossier des retraites. Une majorité de Français jugent le projet injuste et inefficace. Le soutien et la participation populaire aux grèves et aux manifestations qui s'enchaînent depuis les premiers jours de septembre vont crescendo, ainsi que le reflètent deux sondages commandés par l'Humanité, qui montrait (CSA 10 octobre) que plus de 70 % des Français soutiennent le mouvement pour la défense de la retraite à taux plein à 60 ans, et le second, aujourd'hui, réalisé par l'Ifop, qui précise que 56 % des citoyens exigent que le président de la République ouvre enfin le dialogue avec les syndicats... « Sarkozy, t'es foutu, la jeunesse est dans la rue. » Ce slogan, au-delà de l'outrance qui est la loi du genre, répété de plus en plus fort dans les défilés, réveille de mauvais souvenirs dans les sphères dirigeantes de la droite. La solidarité intergénérationnelle s'est mise en marche, comme il y a quatre ans lors de la lutte qui mit à terre le CPE, ce contrat bas de gamme qui précarisait encore davantage les jeunes à la recherche d'un emploi. Ces jeunes qui défilent aux côtés de leurs parents ont été insultés par les proches du chef de l'État, est exposés au risque d'exploitation de violence par des interventions policières devant plusieurs établissements scolaires. Où est la volonté d'empêcher des débordements ? Où se nichent les tentations de provocation ? Il serait gravissime que ce pouvoir espère venir à ses fins et imposer sa contre-réforme, rejetée par tous les syndicats et une très large majorité de Français, en mettant en œuvre une stratégie de la tension. Où serait alors le sens de l'État ? Le recours à la force contre des adolescents et contre les travailleurs des raffineries n'est pas, en la matière, de bon augure. Dans un affrontement d'une telle portée, qui met en lumière le caractère régressif et antihumaniste du capitalisme et des politiques néolibérales, un gouvernement lié aux milieux d'affaires, comme Éric Woerth est lié à Mme Bettencourt, ne renoncera à sa charge contre les retraites que devant la force du nombre et la pertinence des idées. L'une comme l'autre sont du côté du monde du travail et de la jeunesse. (source l'Humanité)
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