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Dimanche 9 Mai 2010:
Dettes, austérité et spéculation : les voies sans issue Par Jean-Christophe Le Duigou (1) Ce printemps a vraiment un goût amer pour les peuples européens qui sont invités à payer une deuxième fois les conséquences de la crise. Des pays entiers (Grèce, Portugal, Espagne) sont déstabilisés par ce que, aux yeux des banques et des agences de notation, leurs dettes publiques seraient trop élevées. Il faudrait que cet endettement revienne, comme le disent les « acteurs de la finance », à des « niveaux raisonnables ». Comme s'il y avait quelque chose de raisonnable dans la suite d'événements que nous vivons depuis deux ans ! Les chefs d'État se concertent mais ne semblent pas prendre la mesure du problème. Au lieu de s'interroger sur le contenu des politiques qui nous ont précipités dans la crise, les gouvernements se proposent d'amplifier les choix contestables. La seule réponse proposée à ces attaques en règle est un programme de régression sociale sans précédent que les sociétés en cause ne peuvent bien sûr pas accepter. Pire, la saignée imposée au peuple grec, en contrepartie de quelques dizaines de milliards d'euros de prêts, sera incapable de bloquer la spéculation qui se portera immédiatement sur d'autres pays. Le diagnostic sur les dettes publiques qui sert de base à cette politique est erroné. Partout l'endettement public s'est accru. C'est vrai. Mais quelle en est la cause ? L'accroissement des déficits est dû à un effondrement des recettes fiscales et sociales et non à un dérapage des dépenses. Côté dépenses, les plans de relance (sauf pour ce qui a été des cadeaux supplémentaires aux entreprises aux banques) ont été limités (+ 1,6 % du PIB dans la zone euro, en tout et pour tout). Côté recette c'est l'effondrement, puisqu'on évalue le manque à gagner des recettes publiques à plus de 200 milliards d'euros. L'origine ? Le recul du PIB (- 4,6 %) et plus de 6 millions d'emplois perdus en 18 mois, soit une saignée jamais vue depuis la Seconde Guerre mondiale. Partout la masse salariale s'est contractée. S'il y a quelque chose à faire, c'est prioritairement développer l'emploi et la production. Mais les gouvernements se trompent une seconde fois. Cette austérité ne les protégera pas des attaques de la spéculation. Ils sont désormais piégés : pour mieux placer les titres de leur dette sur le marché international des capitaux, ils ont en effet accepté de recourir aux agences de notation qui ont une influence directe sur les taux pratiqués. Ils sont aujourd'hui pieds et poings liés. Le danger est d'autant plus grand que les mécanismes financiers à l'œuvre sont « auto-réalisateurs ». Il suffit dès lors à un groupe limité de spéculateurs d'accréditer l'idée qu'un État de la zone euro pourrait faire faillite, ou tout au moins se trouver dans l'obligation de restructurer sa dette, pour susciter une hausse des taux d'intérêt. Le refinancement des emprunts à échéance pour l'État en cause devient plus difficile. Le taux auquel il emprunte monte brutalement. Ce qui rend explosive sa charge d'endettement. L'agence de notation n'a plus qu'à constater cette difficulté. Elle dégrade la note de cet État. Le pays n'a dès lors pas d'autre choix que de se déclarer en cessation de paiement... La Grèce va probablement éviter cette issue. Mais à quel prix ? Les marchés financiers sont en position de force. Ils ont compris qu'ils peuvent pousser à la quasi-faillite un pays de la zone euro. Ils vont appliquer cette recette à tous les États qui présentent une fragilité. Les crises pourraient donc se multiplier. On va vivre cet étrange paradoxe : les principaux États européens mis en accusation par les marchés financiers qu'ils ont contribué à sauver ! Nous sommes sans doute à un moment crucial de l'affrontement. Celui où il faut s'interroger sur les voies à emprunter pour sortir de la crise. Les gouvernements vont être tentés de jouer contre leurs sociétés, contre leurs travailleurs, pour essayer de donner quelques gages à des marchés financiers qui ne leur seront même pas reconnaissants. Si au lieu de cette voie sans issue on envisageait une coalition pour ramener à la raison la finance ? Le mouvement revendicatif va s'amplifier. Au lieu de le combattre, les gouvernements européens pourraient y voir un point d'appui pour affronter la toute-puissance des marchés financiers. Est-ce trop demander à nos gouvernants et à l'Europe ?
(source l'Humanité jeudi 6 mai 2010)
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