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Vendredi 23 Décembre 2010:
Chronique Irlande : là où mène la croissance artificielle Par Jean-Christophe Le Duigou (1) Après la Grèce, Irlande est au bord du gouffre. La récession y est confirmée : le chômage atteint 15 % de la population active de l'île ; le déficit public a dépassé les 30 %. La réponse est toujours la même : l'austérité et l'injection de monnaie dans les circuits bancaires et financiers. Sans garantie que cette potion provoque une réelle amélioration de la situation de l'économie du pays. Le gouvernement irlandais a dévoilé la semaine dernière, sur fond de crise politique et alors que s'exerçait une pression sans précédent des marchés financiers, un plan massif d'austérité de 15 milliards d'euros sur 4 ans. Les ménages irlandais, qui ont déjà subi en deux ans et demi 5 plans de rigueur équivalant au total à 14,6 milliards d'euros d'économies, supporteront l'essentiel du fardeau. Le salaire minimal est abaissé de 11,5 %. Les transferts sociaux sont diminués de 2,8 milliards d'euros. 25 000 emplois publics sont supprimés. La TVA est rehaussée de 2 points... Ce plan représente une addition totale équivalant à 10 % du PIB. Il est censé ramener le déficit public à 3 % du PIB à cet horizon. Telle est en tout cas la présentation officielle faite par le gouvernement de Dublin. On peut légitimement douter de son succès. Dans les faits, ce tour de vis draconien est le préalable exigé par le FMI et les autorités de Bruxelles pour lancer le plan de sauvetage financier du pays. C'est bien sous la dictée de ces deux prêteurs que le plan d'austérité a été élaboré, ce dont convient d'ailleurs le ministre des Finances irlandais, déclarant que « leurs émissaires étaient globalement satisfaits ». L'« aide » conjointe du Fonds monétaire international et de l'Union européenne devrait dès lors avoisiner les 85 milliards d'euros et permettre au pays de se refinancer, à des conditions plus favorables que celles que consentent les marchés financiers. Cela va-t-il suffire ? On peut en douter. L'opinion des financiers, que l'on tente de séduire par ce plan, et sans ambiguïté : « On ne demande plus rien. On s'en va ! » a déclaré l'un de leurs représentants cité par le journal économique « les Échos ». Au total, ce plan semble fait avant tout pour sauver les institutions financières, banques, sociétés d'assurance, fonds communs de placement, qui possèdent une bonne partie de la dette irlandaise. On parle de 100 milliards pour les banques allemandes, d'autant pour les banques anglaises, de 40 milliards pour les banques françaises... Les affaires étaient jusque-là juteuses pour le Crédit agricole, la BNP, Dexia... Le modèle irlandais, le fameux « Tigre celtique » vanté pendant 15 ans comme « exemplaire », leur convenait parfaitement. Il combinait 4 éléments désormais classiques d'une logique artificielle de croissance : un impôt très allégé, un endettement massif des ménages, un boom de l'immobilier, la banque étant au haut de l'échafaudage. L'Irlande a en effet commencé par adopter un taux d'impôt sur les sociétés particulièrement bas, quasi symbolique, afin d'attirer les capitaux en mal de défiscalisation. Les banques ont profité d'une euphorie immobilière pour inciter les ménages à s'endetter. La crise financière américaine a ruiné le système bancaire irlandais, qui s'était engagé dans toute une série de placements plutôt que de financer le développement économique du pays. Le sauvetage des banques a gravement hypothéqué les finances publiques. Au bout de la chaîne, comme aux États-Unis, on retrouve les ménages, à la fois endettés, chômeurs et contribuables désargentés ! L'histoire irlandaise est d'une banalité redoutable. La finance, parce qu'elle est totalement dématérialisée, recèle une souplesse indéniable mais qui, par nature, peut très vite dériver. Parce qu'elle n'a pas en elle-même de force de rappel, la finance a besoin d'être systématiquement réarticulée à l'économie réelle. L'endettement sans création de richesses agit comme une drogue. Il produit à court terme un état de surexcitation, d'euphorie sociale, qui laisse plus ou moins croire que le pays possède des capacités exceptionnelles de développement. Mais ses effets à moyen et à long terme, lorsque la bulle éclate, sont dévastateurs. Rien ne peut remplacer un tissu économique solide, une industrie performante, des capacités humaines de qualité. Les banques doivent être au service du développement des hommes, de la recherche de la formation, et non l'inverse.
(1) Économiste et syndicaliste. (source l'Humanité)
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