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Dimanche 26 Septembre 2010:

Éditorial

Injustice et résolution

Par Michel Guilloux

On prête à Jacques Lacan cette définition, « le réel, c'est quand on se cogne ». Muré dans son palais, l'hôte de l'Élysée n'a de cesse depuis vingt-quatre heures de demander à ses partisans de reprendre à leur compte son déni de la mobilisation du 23 septembre – ce qu'ils exécutent, avec zèle et un phrasé mécanique à la limite du somnambulisme. Gare au réveil ou gare au boomerang, lorsque l'on atteint, dans ce pays, des niveaux de manifestations comparables à ceux d'avril 2006, qui vit échouer l'opération CPE. Certes, le partisan du CIP en son temps aux côtés d'un Balladur se coulait alors dans l'apparence du démineur, pour mieux réaliser l'OPA sur la candidature présidentielle. Aujourd'hui chef de l'État, il sait qu'ici se joue et la fin de son mandat et la suite de la partition.

Le succès de la journée de jeudi, remarqué jusqu'aux 20 Heures de TF1, ne peut que conforter l'intersyndicale et les salariés à trouver de plus en plus de force, dans la durée, l'unité et la diversité des formes d'action décidées par les intéressés. Il y a eu moins de « grèves » dans les services publics, du fait de leur coût pour les salariés de ce secteur ? Cela signifie donc que le mouvement s'est élargi dans le privé et parmi la jeunesse. Et le débat qui s'ouvre au Sénat ne pourra pas y être muselé comme à l'Assemblée. Alors, oui, comme le disait hier midi Bernard Thibault, il y a de quoi opposer au niet « ferme et tranquille » de François Fillon un

« non ferme et résolu » à la casse des retraites. Ce dernier oppose, encore et toujours, la voix de ceux qui manifestent au respect de « celle de tous les autres Français qui soutiennent notre réforme ».

Alors chiche : pourquoi ne pas écouter les Français ? Des centaines de milliers d'hommes et de femmes, de jeunes et de cadres, d'ouvriers en usine et d'employés de la grande distribution se mettent en mouvement. Pourquoi fuir le débat contradictoire sur des propositions alternatives à celles du pouvoir, comme François Fillon l'a fait si piteusement sur le service public de télévision ? Et pourquoi ne pas consulter les Français par référendum sur ce qui est un vrai enjeu de société si cette droite se croit si soutenue par

« l'opinion » - en dépit de ce qu'en disent tous les sondages ? La réponse est dans la question. Cette réforme est tournée tout entière contre le peuple et pour satisfaire aux appétits de rentabilité d'un capital financier adepte du « toujours plus ».

Derrière le discours idéologique et une mâle assurance de façade, pointe tout de même du côté de l'UMP, dont les parlementaires tenaient journées à Biarritz, comme un léger soupçon d'inquiétude. « Notre sort est étroitement lié, totalement lié à celui du président de la République », croit devoir rappeler le secrétaire général du parti majoritaire. « Personne ne doit dissocier son avenir personnel de notre sort commun », ajoute le premier ministre. « On ne peut pas postuler à une nouvelle fois pour défendre les Français dans une grande élection si on n'a pas montré qu'on était capable de justice », rétorque celui qui le précéda et dut céder sur le CPE, Dominique de Villepin. En effet, un profond sentiment d'injustice ne fait que croître depuis le mois de juin et cet été, avec la mise au jour des noces consanguines des forces du pouvoir et de l'argent. Si ce sentiment ne suffit pas, seul, à casser l'idée de fatalité sur l'état de choses économique et social existant, l'injustice, dans ce pays, est un carburant durable pour colère profonde.

(source l'Humanité)

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