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Jeudi 9 Septembre 2010:

Éditorial

Il est temps

Par Maurice Ulrich

Nicolas Sarkozy est « attentif », mais il n'est pas question, a-t-il seriné hier, de revenir sur l'âge du départ, c'est-à-dire les 62 ans. Xavier Bertrand, le secrétaire général de l'UMP, affirme qu'il faut respecter ceux qui ont défilé, mais « il y a un besoin de pédagogie très fort ». Ah, la pédagogie, bien sûr ! Les Français n'auraient pas compris. Comment leur faire rentrer dans le crâne, en effet, l'idée selon laquelle ils devront travailler plus longtemps pour des retraites en peau de chagrin ? Comment leur imprimer dans le cerveau le scénario écrit par le Medef, la droite le capitalisme ? L'avenir ne serait plus dans le progrès social mais dans la régression. Il n'y aurait d'avenir que dans le retour au passé.

Mais qu'ils y viennent donc, dans les rues, serait-on tenté de dire. Ce qu'ont signifié mardi, dans toutes les villes de France, plus de deux millions et demi de manifestants, au cours de cette journée sans précédent par son ampleur et à cette époque de l'année, c'est qu'ils ont parfaitement compris. Et c'est bien parce qu'ils ont compris ce qui était en jeu qu'ils n'en veulent pas. C'est clair. N'en doutons pas, c'est tout aussi clair pour le gouvernement, pour le chef de l'État. En réalité, on le sait très bien. Ils n'ont pas besoin de venir dans les rues. Ils savent ce qui se passe. Ils savent que le pays se lève, qu'au-delà des manifestants eux-mêmes une large majorité ne veut pas de cette « réforme » et que, par conséquent, le mouvement peut encore s'élargir avec les prochains rendez-vous décidés et proposés par l'ensemble des syndicats. C'est pour cela qu'ils biaisent, qu'ils font semblant de ne pas avoir entendu, qu'ils tentent de bricoler aux marges, et c'est Nicolas Sarkozy lui-même qui s'y attelle en trouvant, soit dit en passant, quelques auxiliaires. Hier, l'éditorialiste de Libération militait pour des « aménagements ».

Combien de temps un gouvernement peut-il aller à contre-courant ? cette obstination, Cette affectation de surdité ouvrent une crise politique, une crise démocratique, c'est en vain que Nicolas Sarkozy a tenté de la détourner au cours de l'été avec les artifices les plus vils des surenchères sécuritaires. Voilà à quoi ils sont prêts, jusqu'où ils peuvent aller dans ce mélange à haut risque de régression sociale, d'abaissement moral et civique, de déni démocratique.

Car il est bien question, aussi d'un déni de démocratie. La retraite à 60 ans est une grande conquête, un acquis chèrement payé dans l'histoire et qui a fait reculer l'emprise du capital et de l'exploitation. Dans les cortèges, des milliers d'hommes et de femmes, des jeunes, portaient ce bel autocollant « Je lutte des classes ». Cela veut dire tout simplement qu'ils savent que la retraite est précisément une ligne de partage entre le capital et le travail. Cette ligne qui, depuis plusieurs décennies, n'a cessé de se déplacer au profit de la finance, des dividendes, de la course à l'argent.

La démocratie, c'est la prise en charge, par tous et par chacun, de la chose publique. Du bien commun. Tous les choix du gouvernement sont à l'inverse. Contrairement à ce qu'il raconte, il n'y a jamais eu de concertation, de négociation. Il est possible de construire autrement, collectivement, une vraie et grande réforme des retraites, une réforme de progrès. C'est possible et il est temps.

(source l'Humanité)

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