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Dimanche 11 avril 2010 :
Au temps des femmes aux poissons Après-guerre, la cité fécampoise comptait une soixantaine de boucanes. Des dizaines de femmes y ont travaillé dans des conditions de travail difficiles, avec une solidarité inébranlable entre filles. Nicole Barbaray et Maryvonne racontent. Avec leurs toits à simple pan et leurs rangées de cheminées en briques rouges, les boucanes appartiennent au patrimoine urbain fécampois. Dans les années 60, Nicole Barbaray et Maryvonne Lemonnier ont travaillé quelques années dans ces saurisseries qui embaumaient toute la ville avec leurs odeurs de harengs fumés. Sauf exception, le passage était de trois à quatre années dans ces endroits enfumés, tant le métier était difficile. Durant la période hivernale, où c'était en plein la saison du hareng, les journées étaient très longues pour répondre aux commandes. « Il m'arrivait de commencer à 4 h du matin et de terminer à minuit » avoue Maryvonne. Quarante ans plus tard, c'est dans une ancienne boucane, son ancien lieu de travail, que Nicole a répondu à nos questions. Vingt ans après le fumage des derniers harengs, les murs de la boucane laissent encore échapper quelques souvenirs olfactifs à ses visiteurs. Ainsi, à Fécamp, ces filles étaient appelées « les femmes aux poissons ». « Tout simplement parce que l'on sentait tout le temps le hareng. On avait beau se laver plusieurs fois, cela n'y changeait rien. Pourtant les filles restaient très coquettes malgré tout. Sans doute pour compenser l'odeur. Il arrivait souvent que certaines jeunes femmes viennent travailler quelques jours et abandonnent rapidement ce travail », se souvient Maryvonne. Il n'était pas question de travailler plus pour se faire bien voir, toutes les filles ne faisaient qu'un pour répondre aux nombreuses commandes. « S'il y a bien quelque chose dont je me souviens, c'est la solidarité qui régnait entre les femmes. Si une fille n'était pas en forme, on s'arrangeait toujours pour aller un peu plus vite afin de faire son travail. Nous étions très complices. On chantait toute la journée pour faire passer le temps et pour oublier la dureté du métier », témoignent-elles. Ainsi, les hommes s'occupaient d'entretenir le feu et les femmes enfilaient les harengs sur les ainets. Ces sortes de baguette sur lesquelles les harengs étaient disposés permettaient ainsi de préparer le poisson avant qu'il ne soit fumé. « Je me revois encore accrocher les différents ainets et prendre tout le jus des harengs sur le visage », se souvient Maryvonne. À Fécamp, ces femmes avaient un souhait : devenir couturière dans les ateliers de Gustave Couturier. Travailler dans une boucane s'apparentait en quelque sorte au premier échelon de l'ascenseur social. « Après quelques années, les filles changeaient très souvent de travail. La meilleure reconversion pouvait se faire dans les ateliers de couture. On les trouvait bien prétentieuses les filles à Tatav. Elles avaient bien de la chance », sourient les anciennes collègues de travail. Mais en attendant, ces femmes se devaient de travailler très jeunes et la boucane était bien souvent leur refuge. « Pour ma part j'étais l'aînée de neuf enfants. Dès l'âge de quatorze ans j'ai dû travailler et à l'époque les boucanes créaient énormément d'emplois » précise Maryvonne. Exerçant dans un froid permanent, indispensable pour travailler le poisson, ces femmes avouent avoir eu quelques soucis physiques. « Il nous arrivait de se planter une arête dans le doigt. Il suffisait qu'elle se casse à raz pour que cela s'infecte et se transforme en furoncle ». Quarante ans plus tard, ce travail a laissé des séquelles physiques. « J'ai souvent des douleurs dans les épaules à cause des caisses de harengs de 20 à 30 kilos que nous devions porter toute la journée », témoigne Nicole. Même si Maryvonne avouait de son côté avoir le droit à une petite pause déjeuné à six heures du matin à base de harengs grillés, Nicole n'avait même pas le droit de déguster un hareng, « c'était quand même un comble pour nous. Mais c'était le bon vieux temps », regrette l'ancienne filetière...
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