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Samedi 9 Juillet 2010:
Chronique faut-il vraiment taxer les banques ? Par Jean-Christophe Le Duigou (1) L'idée de « remettre les finances au service de l'économie » fait son chemin dans les opinions publiques. Dans cette perspective, la proposition de taxer les banques et les institutions financières est séduisante. Quoi de plus légitime ! Pendant 20 ans, les institutions financières ont fait des profits fabuleux. En France, bien sûr, où les banques occupent une place importante. Mais encore plus dans le monde anglo-saxon. Rappelons-nous : il y a 10 ans, avec ses seuls profits d'une année, une grosse banque comme HSBC pouvait acheter cash la petite Société générale. À cette époque, les taux de rentabilité financière des grandes banques ont souvent dépassé les 15 %, ou même 20 %. Ensemble, les institutions financières ont nourri une spéculation sans précédent, provoquant cette crise de laquelle nous sommes pas encore sortis. Les gouvernements ont dû mettre sur la table des centaines de milliards de dollars pour sauver le système et éviter que les économies ne sombrent totalement. Que les banques « mettent à leur tour au pot » paraîtrait un juste retour des choses. Est-ce pour autant la bonne mesure ? Cette question devait occuper une place importante au sommet du G20 de Toronto, fin juin. L'idée d'une taxe sur les banques, mesure phare et lisible par les opinions publiques, semblait faire son chemin. Après tout, le célèbre « Yes we can » de Barak Obama pouvait trouver là à s'appliquer. Au dire des commentateurs, la photo des vingt chefs d'État fut belle. Mais malheureusement, les 76 heures de discussion n'ont produit qu'un communiqué sans relief, cachant nombre de points de désaccord. L'idée phare d'une taxe mondiale sur les activités bancaires n'a pas été retenue. L'Europe déclarait cependant vouloir malgré tout la mettre en oeuvre pour son propre compte. « La volonté des pays européens et des États-Unis de taxer les banques s'est heurtée à l'opposition des pays émergents, Chine et le Brésil en tête », résumait une agence de presse. Voilà en quelques lignes nos dirigeants absous, et les fauteurs de spéculation pointés du doigt. Les pays émergents, boucs émissaires, n'accepteraient pas la discipline financière nécessaire. Leurs arguments contre la taxe méritent cependant d'être pris en compte. L'intérêt financier de la taxation, telle qu'elle est envisagée, est limitée : quelques milliards de dollars au total, 300 à 500 millions d'euros pour la France, par exemple. C'est 1/100e de ce que les États ont avancé pour sauver le système bancaire en 2008 ! Une aumône ! Faut-il alors en élever le rendement, passer à une taxe de plusieurs dizaines de milliards de dollars ? Mais alors, le prélèvement générerait des effets négatifs. Une taxe lourde sur les actifs bancaires, combinée au durcissement des fameuses règles prudentielles, renchérirait le coût des ressources, ce qui pousserait les banques à limiter les crédits et à les rendre plus sélectifs encore. Cela va à l'inverse de l'objectif recherché il est cependant possible de corriger cette taxe. Au lieu d'en faire une contribution générale des banques, elle pourrait être assise sur les activités que l'on souhaite voir se restreindre, les activités de marché les plus spéculatives dont l'importance devrait être réduite pour favoriser les activités de crédit à l'économie. Une sorte de taxe Tobin bancaire. Avec une telle assiette, elle prendrait alors un autre sens en devenant une taxe anti-spéculation. Mais remettre la banque au service de l'économie suppose autre chose qu'un prélèvement sur les banques ou que quelques mesures incitatives. Face à l'enjeu de « remettre la finance au service de l'économie », il est indispensable que soient organisés de véritables contre-pouvoirs dans la finance et la gestion de la monnaie. La Chine, l'Inde, le Brésil ont conservé, chacun à sa manière, un contrôle public de tout ou partie de leurs activités financières. Ils ont gardé un droit de regard sur la politique monétaire. Ils ont des outils financiers publics. Les autorités chinoises veillent jalousement, par exemple, à leur pouvoir de décision stratégique dans les principales institutions financières du pays. La leçon devrait servir. L'échec du G20 n'appelle pas prioritairement une nouvelle taxe européenne sur les banques. Il renforce le besoin de construire un véritable pôle public bancaire et financier.
(source L'Humanité Dimanche)
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