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Lundi 20 Septembre 2010:

Réflexion Aurélien Bernier (1),secrétaire national du mouvement politique d'éducation populaire (MPEP).

Emplois « verts » : mirage en

vue !

535 000 emplois en 10 ans, rien que ça ! Voilà ce que promettaient Jean-Louis Borloo et Nicolas Sarkozy avec le Grenelle de l'environnement. L'avenir, ce serait donc la croissance verte, nouveau nom du capitalisme durable. Certes, avec la prise en compte de la dimension environnementale, de nombreux secteurs innovent, s'adaptent. Mais pour un emploi « vert » créé, combien sont détruits ? La conversion écologique de la production est possible, mais doit reposer sur d'autres choix que ceux faits aujourd'hui.

Des Nations unies au gouvernement français en passant par les grands partis politiques, chacun nous assure que la solution aux problèmes du chômage et de la dégradation de la planète se trouve dans l'emploi « vert ». Pour l'Union européenne, le développement des énergies renouvelables créerait 410 000 postes d'ici à 2020. Avec leur Grenelle de l'environnement, Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo annonçaient 535 000 emplois

« créés ou maintenus » en dix ans. Quant à Europe Écologie, les militants visent 10 millions d'emplois en 10 ans à l'échelle communautaire.

Les économistes qui calculent ces chiffres ont sans doute longuement travaillé la question. On pourra néanmoins émettre des doutes à la lumière de quelques éléments, peut-être terre à terre, mais qui ont leur importance.

Tout d'abord, la catégorie des emplois « verts » est vaste et mal délimitée. Dans la plupart des méthodologies, on y intègre des activités comme la gestion des déchets, le bâtiment (pour peu qu'on y pose quelques panneaux d'isolant), ou l'entretien des espaces naturels. De là à parler de « nouveaux » emplois, il y a un grand pas qui est pourtant allègrement franchi dans les discours.

Surtout, on ne sait que rarement à la lecture des annonces si les emplois promis sont de véritables créations ou des reconversions. Il faut lire le détail des rapports pour comprendre que ces postes viennent en contrepoids de suppressions dans d'autres activités. Une étude espagnole récente estime même que la création de chaque complot vert cacherait la destruction de 2,2 emplois traditionnels.

Il semble également que la couleur de l'emploi dissimule un peu facilement les conditions de travail. Aux États-Unis, un rapport de l'organisation Good Jobs First dénonçait, en 2009, la précarité dans le secteur des technologies « vertes », en particulier des salaires souvent inférieurs à ceux des autres industries. Constat d'autant plus scandaleux que les entreprises sont soutenues avec de l'argent public : dans une des centrales solaires américaines étudiées par les rapporteurs, le montant des aides publiques s'élève à 326 000 dollars par emploi créé. En Espagne, chaque emploi vert créé depuis 2000 aurait coûté 570 000 euros à la collectivité, sans aucune garantie quant aux conditions de travail.

Mais pouvoirs publics et écologistes possèdent un autre argument : les emplois « verts » ne seraient pas délocalisables puisqu'ils se situent soit dans la haute technologie (énergies nouvelles, véhicules peu polluants...), soit dans le service de proximité (bâtiment, entretien des espaces naturels...). Et c'est bien là que se trouve la principale erreur.

La mondialisation a montré qu'une production mise au point dans les pays occidentaux est rapidement expédiée dans les pays à bas coût de main-d'oeuvre sitôt la technologie maîtrisée. La fabrication des biens « verts » n'échappe pas à la règle. Dès 2007, la Chine devenait le premier producteur mondial de modules photovoltaïques et fabriquait 56 % des composants pour les éoliennes vendus sur la planète, dans des conditions sociales et environnementales déplorables. Les pays émergents se positionnent d'autant plus rapidement sur ce créneau que deux paramètres ont changé en quelques années. D'une part, ils ont à présent de sérieuses compétences dans des technologies de pointe. D'autre part, la Chine détient à elle seule plus de 95 % des ressources en métaux rares qui, justement, sont indispensables pour produire des équipements « verts ». Or, le gouvernement n'autorise les firmes étrangères à accéder à ces gisements que si elles viennent produire en Chine.

Restent les emplois de proximité. Pour eux, l'Union européenne a imaginé la directive « services », adoptée en 2006, dont l'objectif assumé est de permettre la « libre circulation des services » entre les vingt-sept États. Autant dire la concurrence acharnée. Encore un peu de patience et les chantiers du Grenelle seront effectués à moindre coût par des ouvriers bulgares...

La morale de cette histoire est simple. La conversion écologique de la production ne peut se faire qu'après avoir relocalisé « toute » la production utile, qu'elle soit polluante ou « propre », pour la mettre sous contrôle démocratique. Il faut rompre avec l'Organisation mondiale du commerce et sa stratégie du libre-échange, désobéir aux orientations ultralibérales de l'Union européenne, et mettre en œuvre le droit opposable à l'emploi. D'ici là, il serait bon que les partis, les syndicats ou les militants ne se laissent pas abuser par des stratégies qui confortent le capitalisme.

(1) Auteur de « Ne soyons pas des écologistes benêts »,...

Éditions Mille et Une Nuits, 2010.

(source L'Humanité Dimanche)

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