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Lundi 20 Décembre 2010:

 

Emploi : tourner la page de la déréglementation

Par Jean-Christophe Le Duigou

« Le chômage recule, la création d'emplois est repartie », titraient, la semaine dernière, la plupart des journaux. Bonne nouvelle, direz-vous ! Pas si sûr à l'examen des données précises à notre disposition.

Côté création d'emplois, le bilan est loin d'être positif. 100 000 emplois nets auront bien été créés cette année. Mais nous sommes loin d'avoir retrouvé le niveau d'avant 2008. Ces 100 000 emplois ne représentent que 20 % des 500 000 emplois qui ont été engloutis par la crise. La précarité domine, avec le recul de l'emploi permanent, le rebond de l'intérim et des CDD : 80 % des embauches se font désormais ce type de contrats, dont deux tiers sont d'une durée inférieure à un mois. Et pour clore le tout, l'ACOSS, l'agence centralise les ressources de la Sécurité sociale, annonce un « tassement de la masse salariale » : le salaire moyen par tête aurait reculé de

0,1 % au troisième trimestre.

Côté chômage, la situation n'est pas meilleure. Le léger recul du nombre de chômeurs dont s'est félicité le gouvernement est même préoccupant : si le taux de chômage baisse, c'est parce que le taux d'emploi recule. Découragées par la difficulté d'accéder à un véritable emploi, nombre de personnes renoncent à se présenter sur le marché du travail et à rechercher un emploi. Cela est manifeste pour les jeunes. Si le chômage des jeunes a un peu reculé en un an (- 0,3 %), ce n'est pas parce que les moins de 25 ans ont trouvé un peu plus d'emplois, mais parce que leur taux d'activité, déjà très bas, a encore baissé de 0,8 %. Un fléchissement analogue de 0,2 % du taux d'activité chez les 25-50 ans est significatif de la détérioration structurelle de l'emploi.

Loin d'être encourageante, cette baisse du taux de chômage est inquiétante. La France s'enfonce dans un sous-emploi massif et durable : 4 millions de personnes sont à la recherche d'un emploi, selon Pôle emploi ; 1,4 millions de personnes se déclarent en sous-emploi, essentiellement des femmes à temps partiel imposé ; 2 millions sont bénéficiaires d'emplois aidés, de stages et de préretraites. Il ne serait pas juste de totaliser ces chiffres car ces trois ensembles se superposent partiellement. Mais il est raisonnable d'évaluer à 6 millions, soit le quart de la population active salariée, le nombre de personnes écartées durablement ou temporairement d'un véritable travail. Il ne faut pas alors s'étonner qu'au-delà des problèmes démographiques, la protection sociale a à faire face a des besoins de financement importants.

Ce diagnostic éclaire d'un jour nouveau les 25 ans de politique de l'emploi que nous venons de vivre. Toute la politique de l'emploi a été axée sur l'offre de travail. C'étaient les « rigidités du contrat de travail » qui auraient expliqué les difficultés de développement de l'emploi. Le sous-emploi structurel s'est alors accompagné, depuis le milieu des années 1980, d'un long et profond processus de déréglementation du travail, réduisant la substance même du contrat de travail : multiplication des contrats de travail limités dans le temps (CDD, contrat de projets, intérim...), allégement des contributions aux systèmes collectifs de prise en charge des besoins sociaux (UNEDIC, formation, logement, Sécurité sociale...) assouplissement des obligations patronales en cas de rupture de contrat (rupture conventionnelle, CNE...). Tout cela pour le résultat que l'on sait.

Il était pourtant prévisible que la montée des exigences de rentabilité des actionnaires allait détruire de l'emploi. Pour assurer des taux de rentabilité de 15 % et 20 % aux capitaux investis, les gestionnaires d'entreprises ont dû sacrifier une partie des ressources productives, humaines et matérielles, et s'endetter. L'industrie y a laissé plus du tiers de ses emplois. Le développement des services s'est opéré sur une base dégradée. L'État a dû assumer les conséquences de ce mode de développement déséquilibré au prix d'un déficit sans précédent et d'une dette publique qui n'a cessé de croître.

S'inquiéter de l'emploi des jeunes, des femmes, des seniors, des moins qualifiés est légitime. Mais s'en préoccuper veut dire remettre la politique de l'emploi sur ses pieds. Il est grand temps de tourner la page de la déréglementation, de se préoccuper de la demande de travail par les entreprises et de la mise en place d'une véritable « sécurité sociale professionnelle ».

(1) Économiste et syndicaliste.

(source L'Humanité Dimanche)

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