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Dimanche 12 Décembre 2010:

Éditorial

Quelle gauche ?

Par Jean-Emmanuel Ducoin

Ces temps-ci, le microcosme politico-médiatique a de quoi nous inquiéter. Il suffisait de regarder À vous de juger, jeudi soir sur France 2, pour en percevoir toute la perversité. Ce fut d'abord le honteux tapis rouge déroulé sous les pieds de Marine Le Pen, qui, durant une heure et demie et sans vrais contradicteurs, eut le loisir de surfer à sa guise sur la crise économique, sur les ruines d'une France en atomisation sociale avancée, sur le pourrissement ultra-droitier de sarkozysme, sur les misères du monde libéral et les méfaits de l'Europe... la bonne blague ! La tentative de ripolinage opérée par la leader d'extrême droite fut une nouvelle fois grossière, pourtant, l'animatrice Arlette Chabot tomba dans le piège : « Vous parlez comme à gauche ? » demanda-t-elle naïvement à la fifille de papa. Servir ainsi de porte-plats aux revendications de haine de l'autre, à la destruction souhaitée des liens sociaux et des solidarités républicaines, était plus qu'indécent. C'était une insulte à l'idée que nous nous faisons des services publics et de la parole publique en général, d'évaluée, maltraitée. Et si le danger FN existe, comme en témoignent tous les sondages, il faudra le combattre avec courage et non en gobant passivement les paroles plus ou moins adoucies d'une Le Pen en voie de banalisation...

Mais ce n'est pas tout. Après la tribune libre accordée aux âmes noires de l'« oeuvre française » pseudo-moderne, nous avons eu le droit à une séquence surréaliste consacrée au Parti socialiste, façon ultra Ve République. Nos éditocrates réunis semblaient plus disposés à évoquer la question des primaires que celle du programme. Reconnaissons que, en ce moment, certains protagonistes du PS se prêtent volontiers à ce type de réflexes. Si, pour une majorité de militants socialistes, les primaires sont attendues avec bienveillance, beaucoup expriment leurs craintes qu'une vulgaire « guerre des chefs » ne vienne anéantir la construction des idées. La bataille des égo aurait débuté et avec elle, comme un vieux film tôt rembobiné, la machine à désillusionner le peuple de gauche... Entre nous, ces débats de postures sont-ils à la hauteur des enjeux actuels ? Il n'y a pas de quoi sourire. La France va mal. Et si les classes populaires se demandent légitimement : «Comment en finir avec le sarkozysme ? », c'est d'abord parce qu'elles expriment leurs souffrances sociales après des années de sacrifices... Ou refuser la spectacularisation de la politique et la personnalisation à outrance est donc une question de dignité citoyenne. Toute la gauche doit y réfléchir – non comme un défi, comme une exigence.

Le sarkozysme est en crise et le socle sur lequel le prince président avait construit son succès s'est profondément effrité. Quand on est de gauche, il y a tout lieu de s'en féliciter. Mais s'en contenter de faire un pas, ce serait même mortifère. Après la séquence sociale que les Français viennent d'imposer au pouvoir, nous savons que nos concitoyens sont durablement ancrés dans une contestation du système, qu'ils critiquent désormais sans modération les « logiques du capitalisme financier » ou les solutions du FMI... Comment douter que c'est évidemment sur cet idéal d'égalité et de justice doit se construire une dynamique de gauche ? Pour répondre à la révolte (massive) contre les injustices, la gauche doit préparer et inventer bien plus qu'une

« alternance » douce et paisible, mais bel et bien un changement de société qui refonderait la République elle-même. Un enjeu de civilisation, rien de moins. En ce domaine, la responsabilité du Front de gauche est immense. Pour bousculer l'hégémonie du PS et réinstaller une espérance crédible, qui a tant fait défaut depuis une génération...

(source l'Humanité du samedi 12 octobre)

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